Ô feu
Chronique d’un X
Ô. Singulier, graphème de l’alphabet latin, que j’emploie ici avec caution en fonction du mot qu’il met en valeur. J’utilise cette interjection servant à invoquer et traduire un vif sentiment, celui qui m’habite par rapport au mot suivant. J’ai beau ne pas écouter les nouvelles, j’ai fini par le voir passer, ce torrent dévastateur, celui qui, comme l’humain, est capable du meilleur et du pire. Celui qui par ses flammes et sa chaleur, est en train de faire des ravages et détruire bien des cœurs.
J’ai d’abord entre-entendu l’animateur qui parlait de feux destructeurs, puis je me suis rappelé que c’était la triste saison des incendies de forêt, qui font normalement rage d’avril à octobre. D’ailleurs, MétéoMédia avance qu’il y a 9 000 feux de forêt par an au Canada et qu’ils brûlent en moyenne 25 000 kilomètres carrés. Ah! oui, pour ceux qui comme moi sont visuels, sachez que la superficie des Laurentides, incluant ses 76 municipalités, c’est 20 560 kilomètres carrés. C’est donc dire que chaque année, l’équivalent de tout notre territoire est complètement rasé, imaginez!
Quand j’entends parler de feu de forêt, j’ai encore en tête les tristes images du carnage de « la Bête », le surnom donné au feu destructeur de Fort McMurray, en Alberta, deux années passées. Ces dernières semaines, par contre, je me suis rendu compte que le phénomène prenait une ampleur planétaire. Le Québec, l’Ontario, l’Ouest canadien, certes, mais aussi la Grèce, l’Espagne, le Portugal et les États-Unis. J’ai été abasourdi d’apprendre que selon plusieurs sources, l’être humain est à l’origine de plus de 90% des feux de forêt. Mais en creusant le sujet, ce qui m’a franchement dégoûté, c’est de voir et d’entendre les absurdités de certains médias prêts à tout pour « scooper », ou si vous préférez, prêts à faire la traite de la misère à des fins purement pécuniaires.
À un père de famille atterré qui venait de retourner sur les lieux rasés par les flammes, où il a perdu famille et maison, le reporter de la chaîne CBS demande et insiste: « Alors, Monsieur, quel est votre réaction, dites-moi comment vous vous sentez lorsque vous regarder ça, Monsieur? » L’homme l’a regardé avec ses yeux inondés et n’a pu répondre au journaliste sans scrupules. Piètre inconscient, mais que veux-tu qu’il te réponde? Aucune considération pour le genre humain, simplement là pour recueillir une déclaration-choc, à la solde de cotes d’écoute, faisant fi de son propre destin d’être humain, qui est d’aider avec compassion son prochain.
Et puis sur une autre chaîne, j’aperçois un autre genre de journaliste, qui avoue d’emblée avoir eu toute la difficulté du monde à réaliser un entretien, et pour cause. Le reportage de CNN met en lumière cet arrière-grand-père de 76 ans, Ed Bledsoe, un être brisé et en pleurs. Je le vois encore, portant bretelles et grand chapeau noir à la mode amish, éclater en sanglots en pleine télévision nationale américaine. « Le feu est à la porte arrière, viens nous chercher, Grand-papa, je t’en supplie, viens nous chercher ! » Il rapporte ainsi les paroles de son petit-fils, James, quatre ans, avec qui il est resté au téléphone jusqu’à ce que le petit perde connaissance et périsse dans le feu. Le gamin, mais aussi la femme d’Ed, sa grand-maman, Melody, 70 ans, et sa sœur Emily, 5 ans. Je ne peux vous exprimer toute la douleur que j’ai ressentie en écoutant ce reportage, un qui m’a vaillamment rappelé que nous étions tous connectés, nonobstant notre localité.
Je remarque que plus les événements sont tragiques, plus l’être humain réagit fortement en fonction de ce qui le nourrit, voire de ce qui l’habite.
Pensez à n’importe quelle tragédie et vous allez voir que c’est toujours le même modus operandi. Ceux dont la peur prédomine cherchent un coupable et cherchent à raisonner en blâmant, ce qui apporte une forme de réconfort temporaire, mais illusoire. Les autres se demandent quelles leçons peut-on en tirer et, surtout, comment venir en aide à ceux et celles qui sont toujours là.
Au moment de rééditer ce texte, on annonce 40 degrés Celsius de température ressentie cet après-midi dans les Laurentides. Quand je pense qu’un feu de forêt dégage une chaleur de 800 degrés Celsius, et détruit tout sur son passage, j’ai soudainement moins envie de me plaindre. On a tous besoin de contraste pour relativiser et remettre les choses en perspective. Puissent ces tragédies nous faire apprécier davantage le moment présent, nous rappeler notre devoir de compassion, et nous ramener à l’essentiel de la vie.