Réhumaniser les migrants

Par Frédérique David

CHRONIQUE

Au moment d’écrire ces lignes, les résultats des élections fédérales ne sont pas encore connus. Des bilans de campagne peuvent néanmoins être dressés. Des thèmes auront été tristement absents des débats, comme le droit des femmes ou la protection de l’environnement. D’autres auront été trop présents, voire galvaudés, comme l’immigration.

Les migrants ont le dos large. On les accuse de voler « nos » jobs, d’être la cause du manque de logements abordables, de l’insécurité. Ça fait bien l’affaire des politiciens. C’est la patate chaude qu’on se refile dans les débats et qui permet de ne pas parler d’autres enjeux. C’est le sujet de l’heure. Le problème refilé par les libéraux. Élisabeth Vallet, directrice de l’observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand, parle d’une « arme de migration massive » car les migrants sont utilisés comme moyen de pression, comme outil géopolitique.

Contagion politique

Bien sûr, on ne peut nier l’effet de contagion politique avec ce qui se passe aux États-Unis. Le 15 mars dernier, 250 hommes étaient expulsés vers le Salvador pour appartenance présumée au gang vénésuélien MS-13, déclaré organisation terroriste par Washington. Le quotidien The Nation n’a pas hésité à comparer ces multiples arrestations arbitraires menées par ICE (Immigration and Customs Enforcement) au style de la Gestapo en Allemagne nazie.

ICE multiplie les détentions de « migrants illégaux », les contrôles d’identité dans les trains et les expulsions de ces personnes qu’on déshumanise pour mieux les sortir d’un État de droit. La base de données DOGE d’Elon Musk va permettre de mieux surveiller et suivre les déplacements des migrants. « Le monde est en train de changer », prévenait Élisabeth Vallet dans une récente entrevue à Radio-Canada. « Il y a un mode d’emploi qui s’aligne sur les années 1930, sur ce qui s’est passé pendant la période hitlérienne, et ce n’est pas un abus de langage », ajoutait-elle.

Dès lors, il n’est pas étonnant que ce suprémacisme blanc et cet état policier observés au sud aient des répercussions sur les discours au Canada. Les premiers ministres provinciaux ont même fait front commun pour dénoncer la politique d’immigration du fédéral qu’ils jugeaient trop laxiste. Critiquer et remettre en question l’immigration est devenu une stratégie, un moyen de gagner du capital politique. Les immigrants deviennent les boucs émissaires, les responsables de tous les maux de notre société.

Des idées à déconstruire

Il y a tant à défaire, tant à déconstruire dans ce que l’opinion publique a déjà assimilé, dans ce monde où tous les abus de langage sont désormais permis, où les amalgames déshumanisent sans complexe, où la désinformation règne.

Il faut se rappeler que ces humains qui immigrent veulent participer à notre projet de société et sont un apport considérable à la vie culturelle, économique et sociale. La diversité des talents et des compétences des immigrants permet de relever des défis complexes dans divers secteurs. Le recensement de 2021 révèle que le quart des personnes travaillant dans le réseau de la santé sont des personnes immigrantes. On a vite oublié notre reconnaissance envers les « anges gardiens » de la pandémie !

Il faut cesser de parler de « migrants illégaux » car on ne peut « illégaliser un humain », et traverser une frontière n’est pas illégal, rappelait Élisabeth Vallet à l’émission radio Tout peut arriver. On doit aussi cesser de parler de « capacité d’accueil », car cette soit-disant capacité ne se mesure pas, ne se calcule pas. Ce concept sans fondement scientifique est « plus souvent évoqué par ceux qui veulent limiter l’immigration », peut-on lire dans un mémoire du Conseil du Patronat du Québec publié en 2023.

Un atout

En 2022, l’ONU indiquait que l’immigration est désormais le seul moyen de combler le solde démographique naturel devenu négatif dans de nombreux pays développés. Il serait temps de parler de l’immigration comme un atout, une richesse et de changer le discours actuel pour retrouver nos valeurs d’ouverture et d’inclusion qui ont toujours fait la richesse de notre société.

Ne jamais oublier

Les manuels scolaires d’univers social ne racontent pas la triste histoire du MS Saint Louis survenue pendant la Seconde Guerre mondiale. 937 Juifs allemands étaient à bord de ce paquebot transatlantique qui avait fui l’Allemagne nazie en 1939. Après le refus de Cuba, des États-Unis et du Canada de les accueillir, le navire est reparti vers l’Europe et 254 des passagers ont été victimes de l’Holocauste. Des excuses ont été adressées par le gouvernement de Justin Trudeau en 2018. « Le souvenir du MS Saint Louis nous rappelle le chemin que nous avons parcouru depuis 1939 et renforce notre détermination à lutter contre la discrimination où qu’elle se manifeste », avait déclaré le ministre du Patrimoine Pablo Rodriguez. Ces mots, il ne faudrait pas les oublier.

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