Crédit : Simon Cordeau

Sainte-Adèle : Le conseiller Laganière avoue ses fautes et ferme Le Norbert

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

En entrevue exclusive avec le journal Accès, le conseiller municipal Alexandre Laganière admet avoir opéré un gîte sans permis et, par la suite, ne pas s’être conformé à un ordre de la Ville de Sainte-Adèle de cesser ses activités. M. Laganière souhaite « prendre un peu de recul » pour réfléchir à son avenir politique. Il ne participera donc plus au caucus hebdomadaire de la mairesse et des autres conseillers, et il siégera comme indépendant au conseil de ville. Le Norbert – Espace Rassembleur cesse aussi ses opérations.

À la dernière séance du conseil, lundi 21 août, l’ex-conseiller municipal Martin Jolicoeur avait exprimé le mécontentement de résidents voisins du Norbert. Ceux-ci se plaignaient de la musique et du bruit dérangeants tard le soir, voire la nuit. Le Norbert, une auberge pour groupes et événements privés, tenait des soirées spectacles en plein air, alléguaient-ils. M. Laganière était absent lors de la séance.

« Je savais les conséquences. J’ai pris un risque »

Pour l’entrevue, Alexandre Laganière nous reçoit au Norbert. Il nous fait visiter cette maison historique, entourée d’arbres et près de la rivière du Nord. Il nous parle de son projet : une auberge pour groupes privés, avec un accueil et un service personnalisés, comme un traiteur, des activités organisées ou un musicien qui joue autour du feu.

Mais il y a un an et demi, l’avenir du Norbert change. « Il y a trois des cinq propriétaires qui voulaient se retirer du projet. […] Pour plein de raisons, je voulais me retirer. Donc il fallait réhypothéquer la maison », raconte M. Laganière. Les autres propriétaires rachètent ses parts, sans lui garantir l’avenir du bâtiment.

Cependant, Le Norbert a déjà des réservations pour les mois à venir. « J’ai des trucs à honorer pour l’été. J’ai des engagements de pris. » Certains, comme un mariage, sont prévus depuis 12 mois, explique-t-il. Mais les propriétaires ne peuvent pas obtenir un prêt hypothécaire personnel si, au rôle d’évaluation foncière, l’adresse est commerciale. En juin, M. Laganière décide donc d’enlever son permis d’hébergement, pour permettre le prêt.

Maintenant sans permis, il continue toutefois de recevoir des clients. « Je savais les conséquences. J’ai pris un risque. […] Je sais que c’est une bombe à retardement tout ça. Je n’aime pas la situation dans laquelle je me trouve », avoue l’entrepreneur.

« On a voulu étirer l’élastique »

En 2020, Le Norbert avait déposé une demande auprès de la Ville pour un changement de zonage. L’entreprise souhaitait autoriser le camping sur le terrain, louer des tubes pour descendre la rivière du Nord, et tenir des spectacles intimes en plein air. Mais les résidents du secteur s’opposent, et le changement de zonage est refusé. À l’époque, l’entreprise reçoit aussi des plaintes du voisinage, en raison du bruit, comme des feux d’artifice en pleine nuit.

M. Laganière admet que certaines plaintes étaient justifiées, mais que d’autres étaient exagérées. « Tout ce qui se passait dans Mont-Rolland, le monde qui allumait des pétards à l’usine Rolland, c’était toujours nous. On se faisait attribuer des dérangements qui ne venaient pas d’ici », insiste-t-il.

Lorsqu’il prend personnellement les rênes du Norbert, au printemps 2021, M. Laganière tient à devenir un voisin modèle. « Je nous ai enlevé de Airbnb. C’était juste le site web et notre réseau. On va louer plus cher. Il va tout le temps avoir quelqu’un sur place. Et on va accompagner et personnaliser leur expérience », détaille-t-il. Ainsi, il peut choisir ses clients, encadrer les débordements, et refuser ceux qui dépassent les bornes. « Si des gens viennent jouer sur le bord du feu, c’est de la guitare acoustique. Je ne veux rien d’amplifié. J’étais très frileux. Je ne voulais déranger personne », souligne-t-il.

Avec cette nouvelle approche, Le Norbert ne reçoit plus de plaintes du voisinage. M. Laganière prend ainsi de l’assurance et croit que son projet pourrait grandir. « On a voulu étirer l’élastique », reconnaît-il. « On s’est dit : « Ok, pas de plaintes, ça va. » On s’est mis à avoir des trucs plus amplifiés. »

« Je ne voulais pas m’en mêler »

Plus tôt cette année, une productrice indépendante voit Le Norbert, adore le lieu et propose d’y produire des Sessions mystères. « Chaque événement présentera un artiste de renom dans une formule intimiste et acoustique, précédé d’un cocktail en pleine nature », peut-on lire sur les billets. Chaque soirée est limitée à 80 billets, et ceux-ci incluent deux consommations d’alcool.

Il s’agit d’une vente commerciale de billets. M. Laganière avoue être conscient qu’il dépasse la ligne de ce qui est permis. Mais comme il s’agit d’une productrice indépendante, il espère pouvoir s’en dédouaner. Il se laisse donc tenter. « Je ne suis pas sûr, mais… [Soupir] On le vit ! C’est tellement un beau projet. Laurence Jalbert, David Jalbert, c’est tellement du beau monde. »

Des résidents voisins ont allégué que Le Norbert vendait de l’alcool, ce que dément M. Laganière. « Je ne vends pas d’alcool. » Lors des événements privés, ce sont toujours les clients qui amènent leur propre alcool, insiste-t-il. Mais dans le cas des Sessions mystères, « il y avait de l’alcool disponible cette soirée-là », reconnait-il. Comme l’événement était organisé par une autre entreprise, Le Norbert devait-il avoir un permis d’alcool ? « Je ne sais pas où est la ligne dans ça. Je ne le sais pas », admet M. Laganière.

Un appel à la Régie des alcools, des courses et des jeux nous permet de confirmer : c’est bien l’entreprise qui organise l’événement qui doit obtenir un permis d’alcool. L’entreprise qui loue les lieux, dans ce cas Le Norbert, n’a pas besoin d’un permis. Mais M. Laganière admet ne pas avoir fait cette vérification. « Je ne voulais pas m’en mêler. »

« Vous devez suspendre vos activités »

Laurence Jalbert se produit au Norbert le 12 juillet. Le lendemain, « j’ai reçu un avis de la Ville. Vous devez suspendre vos activités », raconte M. Laganière. Immédiatement, il ferme le site web du Norbert, retire l’entreprise des réseaux sociaux, et enlève l’affiche sur le bâtiment. Il annule aussi les Sessions mystères restantes.

Cependant, il reste encore des réservations d’événements privés à honorer. « J’ai une décision à prendre. J’ai des amis qui venaient se rassembler ici, des trucs planifiés depuis des mois. Je les garde-tu ou je ne les garde pas ? […] J’ai continué de recevoir du monde », avoue M. Laganière.

« Le projet est exceptionnel. Il n’est juste pas au bon endroit »

Tout le long de l’entrevue, Alexandre Laganière parle de son projet avec passion. L’auberge se trouve dans la maison d’Augustin-Norbert Morin, la première construite à Sainte-Adèle, en 1844. À chaque client qu’il accueille, il raconte l’histoire du bâtiment centenaire, de Sainte-Adèle et de la région. « Ici les gens se retrouvent et sont présents. Quand ils partent, ils ont les larmes aux yeux et se font des câlins, peu importe les générations. »

Pour Alexandre Laganière, Le Norbert, « c’est le projet de ma vie ». « On dirait que c’est le projet parfait qui répond à un besoin dans la société de se retrouver. […] Le projet est exceptionnel. Il n’est juste pas au bon endroit. » Il affirme même avoir fait « zéro dollar sur ce projet-là depuis trois ans », mais s’y consacrer par coeur et par passion.

Toutefois, sauver son projet est entré en conflit avec son rôle de conseiller municipal, admet-il. « Est-ce que je suis à cheval sur le rôle de conseiller et je compromets ma carrière d’entrepreneur, en annulant tout ce qui se passe ici ? Ou je priorise le rôle d’entrepreneur, au détriment de mon rôle de conseiller ? Les actions que j’ai posées sont allées sur l’option B. […] Si j’avais voulu être blanc comme neige, montrer patte blanche, je n’aurais pas fait ça. Je le sais bien que je n’étais pas irréprochable. » Il confie aussi : « Ça fait un bout que je me dis : je pense que je serais plus utile à la ville comme entrepreneur que comme conseiller municipal. »

« M. Laganière ne siègera plus au caucus »

Ainsi, le conseiller municipal s’est retiré du caucus des élus et siégera désormais comme indépendant, indique-t-il. « Je ne participerai pas au comité plénier tous les lundis. Cette gang-là, je l’aime et j’ai aimé travailler ensemble. Je ne veux pas les forcer à prendre position et à gérer le malaise », explique-t-il.

De son côté, la mairesse Michèle Lalonde a confirmé qu’Alexandre Laganière ne faisait plus partie de son équipe. « Maintenir le lien de confiance entre les citoyens et les élus est au cœur des préoccupations du conseil municipal actuel de la Ville de Sainte-Adèle. Par conséquent, en raison des récentes allégations en lien avec les activités professionnelles du conseiller municipal du district 3, M. Alexandre Laganière, les conseillers et moi-même avons décidé de l’exclure du caucus. Cette décision, qui prend effet immédiatement, signifie que M. Laganière ne siègera plus au caucus du conseil municipal », nous a-t-elle répondu par courriel.

Quant à son avenir politique, M. Laganière affirme avoir besoin de « prendre un peu de recul » pour y réfléchir. Il souhaite d’ailleurs inviter les résidents voisins du Norbert et l’ex-conseiller municipal Martin Jolicoeur pour discuter avec eux. « Je veux montrer l’exemple. […] Mon implication citoyenne va bien au-delà de mon rôle de conseiller et du Norbert. Je m’implique pour une ville harmonieuse, qui rayonne, où les gens se parlent. Et je veux l’incarner jusqu’à la fin de cette démarche-là. »

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