Le Manoir des Pays-d’en-Haut sera démoli : « Jamais je ne m’y suis senti en sécurité »
La maison de chambres du Manoir des Pays-d’en-Haut, située au 220 rue Lesage à Sainte-Adèle, fermera bientôt ses portes. Le propriétaire a reçu un avis d’éviction de la Ville et les locataires devront quitter d’ici la fin mars. De plus, un promoteur a fait une demande de démolition du bâtiment et a soumis un projet domiciliaire à la Ville.
« Il y a quelques mois, le directeur de l’urbanisme nous a laissé savoir qu’il y avait de gros problèmes. On a émis des avis d’infraction concernant le code du bâtiment et le sécurité incendie, entre autres », explique la mairesse de Sainte-Adèle, Michèle Lalonde. « Malgré ces avis de mettre le bâtiment aux normes, ou de le sécuriser, le propriétaire n’a rien fait. Donc on a remis un avis d’éviction au propriétaire. Il avait 60 jours pour quitter. »
« Jamais je ne m’y suis senti en sécurité »
Sylvain* a demeuré au Manoir des Pays-d’en-Haut pendant un an et demi, de 2022 à 2023. C’est le CLSC de Sainte-Adèle qui l’avait référé à cet endroit, indique-t-il. « Jamais je ne m’y suis senti en sécurité. »
« C’était mon ancienne vie où je consommais de l’alcool tous les jours. J’étais sur l’aide sociale aussi et j’avais des dons de [la banque alimentaire] le Garde-Manger. Je suis un des seuls qui s’en est sorti, miraculeusement, quelques mois après mon arrivée là », raconte Sylvain. Il payait 900 $ par mois pour « uniquement une chambre, une douche et une toilette, mais pas de cuisine et pas de lavabo ».
Il raconte qu’au Manoir, il y avait « de la consommation, de la drogue, de l’alcool » et des résidents avec « des antécédents judiciaires » ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. « Ça criait énormément. Il y avait des engueulades, des bousculades, des résidents qui frappent dans les murs, etc. » Malgré cela, Sylvain souligne qu’il n’y avait « pas de gardien, rien ».
Cette ambiance délétère est corroborée par d’autres témoins et la mairesse. « On traite tout ce dossier-là avec le CISSS des Laurentides depuis des mois. Il y a beaucoup de gens qui ont des problèmes de santé mentale. Certains sont un danger pour eux-mêmes et pour les autres », indique Mme Lalonde. « Du côté incendie, ça devenait extrêmement dangereux. […] Il y a une personne qui voyait des bébittes. Donc elle a mis le feu dans son lit pour les faire partir. […] S’il y a un incendie, tout le monde y passe. »
« J’ai des ressentis physiques et mentaux qui me hantent encore », confie Sylvain. « C’est clair que les nuits de sommeil étaient très difficiles. Les gens étaient en crise, faisaient des psychoses toxiques. La police était présente tous les jours, les nuits, les soirs. L’ambulance, souvent. Les pompiers, parfois. Ce sont des gens en détresse. C’est un facteur stressant. »
Relocalisés ?
Paul-André Giguère, qui est gestionnaire du Manoir, souhaitait racheter le bâtiment à ses propriétaires, afin de conserver sa vocation de maison de chambres. Il avait même engagé un intervenant psychosocial afin d’en faire des logements sociaux supervisés et pour que la relation avec le voisinage soit plus saine. « Mais au prix que [les propriétaires] demandent… Il y a beaucoup de réparations à faire. Si je ne me trompe pas, ils étaient rendus à 2 M$. Ça n’a aucun sens ! […] Ils n’ont pas respecté les règles que la Ville leur demandait et ils ont négligé la propriété », déplore M. Giguère.
Donc, il a plutôt trouvé une maison sur le bord du lac Milette, à Sainte-Adèle, qu’il compte convertir en maison de chambres. « Je peux avoir au moins six résidents. Il faut que je me retourne de bord vite. »
Le gestionnaire déplore vivement la fermeture du Manoir des Pays-d’en-Haut dans le contexte actuel. « Il y a tellement un manque de logements, à Montréal, à Saint-Sauveur, à Sainte-Adèle, c’est terrible ! Les gens vont se retrouver à la rue. Il faut avertir tous les intervenants », soutient M. Giguère.
« C’est pour ça qu’on a hésité longtemps : on est très conscients de la pénurie de logements. Et mettre du monde à la rue, c’est déchirant », explique Mme Lalonde. La mairesse nous indique le CISSS des Laurentides « est sensé prendre en main et reloger » la quinzaine de résidents du Manoir. Mais avec un taux d’inoccupation près de 0 % à Sainte-Adèle, où pourront-ils être logés ? Sont-ils assurés de retrouver un toit ? « Afin de respecter la confidentialité, nous ne sommes pas en mesure de commenter la situation particulière des personnes résidant à cet endroit », nous répond l’équipe des communications du CISSS par courriel.
« Dans ce genre de situation, nous collaborons avec nos différents partenaires, dont la Société d’habitation du Québec (SHQ) et les différents organismes communautaires afin de soutenir les usagers eu égard à leurs différents besoins de santé et de services sociaux dans le contexte de leur relocalisation par les instances et organismes dont c’est la compétence. […] Soyez assuré que chaque personne requérant un soutien au cours de son parcours de relocalisation sera accompagnée par le CISSS des Laurentides, selon ses besoins », explique le CISSS.
Projet domiciliaire

Un promoteur, qui n’est pas le propriétaire du bâtiment, a fait une demande de démolition et a présenté un projet domiciliaire pour le site à la Ville, indique la mairesse. « Souvent, des gens qui veulent acheter un bâtiment ou un site, ils commencent par faire une demande, pour s’assurer qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent faire », explique Mme Lalonde.
Le projet compterait 4 bâtiments multifamiliaux de 3 étages et de 30 à 33 logements chacun, pour un total de 129 logements. Le projet aurait également un stationnement « en grande majorité souterrain », un espace de vie au centre du développement et 56 % de sa superficie sera des espaces verts.
Une réunion publique du comité de démolition aura lieu le 12 février à 16 h 15, à la salle du conseil municipale, située au 1386 rue Dumouchel.
*À sa demande, le nom de Sylvain a été changé pour conserver son anonymat.
2 commentaires
Quel étrange article. On croirait – mais sans doute est-ce une illusion – que le promoteur du nouveau projet immobilier l’a soufflé. Le providentiel ‘Sylvain’ dont le témoignage (unique mais corroboré par la mairesse alors c’est du solide) décrit bien pourtant la réalité de ces citoyens vulnérables et l’ambiance parfois difficile de ce type de centre, joue son rôle à la perfection. Il y a même des pompiers, pour faire bonne mesure !
Vous l’aurez compris: cet immeuble doit disparaître à tout prix, malgré la pénurie d’hébergement, malgré – ou surtout – que ce soit en plein hiver, juste avant le printemps. Aucun acteur important du développement économique de la région ne versera une larme. Pardi, les plans du nouveau projet sont déjà prêts: ça c’est de l’efficacité. Rassurez-vous: on nous explique qu’une demande de démolition à été déposée « pour s’assurer qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent faire ».
Beau travail. Et merci pour la pub.
Bonjour Mme Ethier,
Je n’ai pas eu de contact avec le promoteur de ce projet immobilier. Et Sylvain m’a contacté avant les Fêtes pour dénoncer une situation qu’il jugeait inacceptable. Ce qu’il m’a raconté était très similaire à d’autres témoignages sur l’endroit. Ma collègue Ève Ménard a réalisé un dossier sur la situation du logement dans les Laurentides en janvier ( https://www.journalacces.ca/actualite/se-loger-dans-les-laurentides-mission-impossible/ ). Pendant sa recherche, des intervenants sociaux et un autre résident du Manoir lui ont confié à peu près la même chose. De plus, des citoyens se sont présentés aux séances du conseil municipal de Sainte-Adèle à quelques reprises pour dénoncer des problèmes de voisinage avec le Manoir. Je ne fais que rapporter une situation bien connue des résidents du quartier.
Si vous vous opposez à la démolition du bâtiment, ou à la construction du projet résidentiel, vous pouvez assister à la réunion du comité de démolition cet après-midi (12 février) à 16 h15. Le comité Un toit pour tous a déjà signalé qu’il s’inquiétait de la relocalisation de ses résidents. Et l’APMAQ s’oppose à sa démolition en raison de la valeur historique du bâtiment. Il y aura aussi d’autres occasions pour les citoyens de poser leurs questions et de faire valoir leur opposition pendant que le projet suit le processus municipal.
Sinon, vous pourrez lire mon suivi du dossier dans nos prochaines éditions.
Au plaisir