Télétravail : une nouvelle réalité
Le télétravail fait maintenant partie de la réalité d’une majorité de travailleurs, pandémie oblige. Analyse de ce nouveau phénomène qui est là pour rester, avec Stéphane Chalifour, professeur de sociologie au Collège Lionel-Groulx.
Parmi les nombreux bouleversements amenés par l’adoption du télétravail, il y a un changement dans la culture de travail.
Les anciens modèles d’organisation du travail étaient plus autoritaires, explique M. Chalifour. « C’est fondé sur l’idée que la meilleure façon de contrôler la productivité des employés, c’est de les avoir devant soi. » Cette culture, inspirée du fordisme, s’appuie sur le chronomètre, la discipline des ouvriers et leur contrôle par des contremaitres pour augmenter la productivité.
Le télétravail, à l’inverse, est fondé sur une relation de confiance. « On dit aux gens : maintenant, vous serez maîtres de vos horaires, vous serez autonomes, mais en échange, soyez productifs. Vous n’avez pas le patron qui vous surveille par-dessus l’épaule », illustre le professeur de sociologie.
Ce changement important de culture était déjà amorcé avant la pandémie, mais certaines entreprises y étaient encore réticentes. Avec les mesures sanitaires, la transition s’est accélérée.
Employés : les pour et les contre
Le plus gros avantage du télétravail, pour les employés, c’est d’être maître de son temps. Vous pouvez décider quand vous commencez, quand vous terminez, comment vous organisez vos tâches, tant que le travail est livré. Le fait d’être à la maison permet aussi une meilleure conciliation travail-famille.
Mais il y a des inconvénients à ne pas négliger.
« On oublie que le milieu de travail, c’est un espace de socialisation », rappelle M. Chalifour.
Déjà, les psychiatres et les médecins s’inquiètent de l’augmentation des problèmes de santé mentale : dépression, troubles alimentaires, solitude…
« Quand tu es une mère, un père, avec des enfants qui courent dans la maison, il y a de la vie. Mais une personne seule peut souffrir d’isolement, de solitude. C’est un aspect très négatif du télétravail. »
M. Chalifour, qui a étudié la sociologie du travail, souligne que le télétravail amène aussi une certaine insécurité. « Il peut y avoir certains doutes liés à son travail. Est-ce que je prends la bonne décision? Est-ce que la tâche est conforme à ce qu’on m’a demandé? S’il y a un collègue à côté de toi, tu peux lui donner un petit coup sur l’épaule. » Mais en télétravail, il faut passer par des logiciels qui sont très formels, froids et qui ne permettent pas la même chaleur dans les interactions entre collègues, déplore M. Chalifour.
Une technologie invasive
Il faudra aussi prendre soin d’encadrer le télétravail, prévient le professeur de sociologie. « Les nouvelles technologies pourraient se traduire par un plus grand contrôle des travailleurs. » Certains employeurs pourraient demander une disponibilité constante de leurs employés, sollicités par des courriels ou des notifications les soirs et les fins de semaine. « Ce n’est pas parce que tu es chez toi que tu dois être mobilisé 12 heures par jour. Il faudra trouver une manière de normer le travail à distance. »
Si on va plus loin, des logiciels peuvent déjà surveiller ce que vous faites sur votre ordinateur, ou plutôt, comment un employé utilise sont temps. Dans l’avenir, des entreprises pourraient exiger l’utilisation de ces logiciels pour le télétravail.
Retour au bureau?
Après la crise, est-ce que les travailleurs retourneront au bureau? Ce n’est pas si sûr, croit M. Chalifour. Pour les entreprises, le télétravail représente aussi des économies substantielles. Plus besoin de louer des espaces de bureau, par exemple. Même si, dans certains domaines économiques, les entreprises devront revenir au travail sur place, le télétravail est bien là pour rester.
Il faudra aussi considérer l’écosystème économique des centres-villes : comment survivront les restaurants, les bars et les hôtels, qui vivent de la présence d’employés en ville? « Est-ce qu’il y aura des pressions politiques pour inciter les employeurs à remobiliser leurs employés? », se demande M. Chalifour.