Tout simplement, le temps
Par Mimi Legault
J’aspire au temps qui m’aspire. Ne cherchez pas l’auteur, cette pensée vient de ma p’tite tête le soir de mes 40 ans. Et depuis, je n’ai pas changé d’idée. Durant les derniers mois, on a eu plus de temps à tuer. Drôle d’expression parce que dans les faits, c’est lui qui finit par nous tuer. Qu’avons-nous fait de plus ou de moins pendant la pandémie?
Tenez, on va jouer avec les chiffres. Imaginez que vous gagnez chaque jour 86 400$ à dépenser jusqu’à minuit. Pas de trouble, me répondriez-vous. La grande vie, sans jeux de mots. Qui serait ce généreux donateur? Je vous le présente : le Temps. Oui, 86 400 secondes à dépenser chaque jour. À vous de jouer.
Un ami de la famille vient de décéder d’un cancer foudroyant. Trois mois. Il pleurait tellement non pas de douleur, mais du fait qu’il refusait de mourir. Chaque minute des dernières semaines, il les a savourées à pleines dents. Sur un papier, on a retrouvé ces mots qu’il a écrits quelques heures avant son dernier voyage : prenez un verre à ma santé, profitez de chaque moment, soyez heureux.
Question cruciale : qui d’entre nous, profite de chaque instant qui passe? Ce serait rêver en couleur. À voir rouler certains conducteurs impatients sur nos routes; à entendre chialer le client à la caisse rapide parce que celui qui est en avant a deux articles de trop dans son panier; à observer le parent au resto qui idolâtre son Facebook au lieu de jaser avec son enfant, on est loin de la zénitude…
La vérité c’est que les gens sont pressés d’arriver… nulle part. Pire que ça, les dernières avancées de la technologie moderne font que l’Humain perd sa place. On vient d’annoncer qu’un supermarché de Ste-Agathe se targue via la publicité d’être le magasin qui remplacera les caissiers par la machine. D’ici quelques années, plus de conducteurs, nous aurons droit à des autos intelligentes sans chauffeur. Les achats en ligne connaissent une croissance exponentielle. Mais qu’arrive-t-il de nos boutiques? Du plaisir à magasiner? Que ferons-nous de tout ce temps? C’est Philippe Géluck qui a dit que dans le passé, il y avait plus de futur que maintenant. On dirait que le fait de ne rien faire est synonyme du mot paresse. Alors qu’au contraire, ne rien faire peut vouloir dire laisser venir les choses à soi afin de permettre à son esprit de vagabonder librement.
Il y a quelques semaines, j’ai subi une légère commotion cérébrale. Légère. Un accident bête (au fait, y a-t-il des accidents intelligents?). Mais avant que le verdict ne tombe, j’ai cru un moment être atteinte d’Alzheimer ou d’un cancer au cerveau. Troubles de mémoire, incapacité à me concentrer, difficulté à écouter un film. Lorsque tout est redevenu à la normale, on aurait dit que je voyais les choses autrement.
Justement, faut-il une maladie ou une mauvaise aventure pour réaliser la préciosité du temps qui passe? L’Humain n’est pas éternel, mais on peut observer certains spécimens pratiquer le stress comme si c’était un sport. La vie moderne veut que la personne qui brûle les feux rouges soit la même qui, au golf, est prête à attendre son tour de départ des demi-heures entières.
Je regarde vivre Henri, mon chat. Plus zen que ce minou, tu meurs. Il atteint le bonheur suprême à ne rien faire. Attention, je ne suis pas en train de vous proposer de vivre dans l’oisiveté éternelle, mais de réaliser que le temps vaut une fortune, que ça vaut la peine de s’y arrêter pour mieux en jouir. On n’y arrive pas toujours. On remplit plutôt sa chaudière du temps en courant de tous les côtés, en gesticulant, en surfant sur FB. L’Homme des années 2 000 est essoufflé.
Ne tentez surtout pas de tirer sur les bretelles du temps, elles vous péteront dans la face. Comme le chante si bien Gilles Vigneault, le temps que l’on prend pour dire je t’aime, c’est le seul qui reste au bout de nos jours.
Profitez-en!