Un avant-midi dans la cour des miracles

Par nathalie-deraspe

Nous sommes jeudi matin, il est 9h30. Le Dr Jean Robert et ses deux collègues entament une journée au cœur de la misère humaine. Au programme, un défilé de laissés-pour-compte, qui obtiendront tour à tour quelques soins et beaucoup de compassion.

La clinique Santé amitié fonctionne entièrement grâce à des fonds privés en

provenance des pharmaceutiques. Elle est née de la volonté du Centre Sida Amitié d’apporter une aide médicale adaptée à sa clientèle. On avait beau insister sur l’importance de développer un tel service auprès de l’Agence de santé et des services sociaux des Laurentides, c’est finalement le privé qui a accepté d’allonger près de 100 000$ pour lancer le projet. 

L’idée se résume en peu de mots. Un petit local joliment décoré, avec au mur, plusieurs affiches illustrant le fonctionnement du corps humain, quelques instruments, un stéthoscope et une panoplie de médicaments. Le tout enrobé d’une généreuse dose d’humanisme. Ici, il n’y a ni clients, ni patients, ni numéros. Que des êtres humains.

Des résultats concluants

Fait impressionnant, 89% des patients atteints d’hépatite C qui suivent à la lettre les traitements suggérés finissent par se débarrasser entièrement de la maladie. La clinique en a dépisté 900 cas depuis 2009. Cela se fait de façon anonyme et gratuite. La moyenne dans les CLSC et les hôpitaux est de 57%. «Les médicaments font le travail à 35%. Le reste, c’est ce qu’on fait autour», explique le Dr Jean Robert. 

Et ce médecin sait de quoi il cause. Ça fait 30 ans qu’il œuvre auprès des sidéens et autres miséreux de la société. Jean Robert était aux premières loges quand Luc Montagnier a découvert le virus du VIH au tournant des années ‘80. À l’époque, tous les spécialistes prédisaient qu’on aurait un vaccin au bout de 6 mois. Il a fondé le Comité Sida-Québec et a réussi à dénicher un budget de 35 000$ après avoir convaincu Pierre-Marc Jonhson qu’une épidémie était à nos portes.

Aujourd’hui, le médecin de 72 ans continue à faire ce qu’il fait de mieux. Soigner les gens. Être à l’écoute de leurs problèmes. Mais au lieu de gérer un budget de 15 M$, il se retrouve comme dans les années ’70.

Assise à quelques pas de lui, je tente de me faire discrète. On me prévient que je dois garder le secret professionnel. Les patients défilent un à un et sans grande surprise, me vantent l’homme qui sait si bien apaiser leurs maux. Beaucoup ont commencé à boire à 4 ans. Un bon nombre d’entre eux sont analphabètes. Près de 20% sont sans carte d’assurance-maladie. Un vient de sortir de prison. 

«Des fois c’est difficile de trouver une veine pour leur injection hebdomadaire. Y’en a une qu’on doit piquer sur un sein. Parfois, on leur laisse un petit diagramme et on encercle celle qu’on veut garder intacte.» On ne se le cachera pas, 98% des gens aux prises avec l’hépatite C sont des junkies. 

Un sidéen entre et s’installe en face du médecin. Dès qu’il apprend ce que je fais là, il m’indique que seul le Dr Robert a pris soin de lui faire passer un test personnalisé. Pourtant, chaque patient réagit différemment aux médicaments. Dans son cas, les nausées étaient si intenses qu’il préférait «sauter des journées». L’homme qui le suit profite de ma présence pour se lancer dans une diatribe à l’endroit du système de santé. «On est mal représentés par le médical. Faudrait que le CLSC se grouille le cul. Des fois, c’est humiliant d’aller là. Qu’est-ce qu’on fait? On n’y va pas! Une chance qu’on n’a pas la malaria!»

Il est déjà plus de midi. Une femme frêle pénètre dans le bureau. La première fois qu’elle a été vue, c’était en avril 2007. Les travailleurs de rue l’ont ramassée à la petite cuillère. Elle se «shootait» à la «coke». Elle s’est guérie d’une hépatite C. Pour cela, il a fallu qu’elle abandonne la seringue ou toute autre substance. Elle n’a pas consommé tout au long du traitement. On lui a remis un beau certificat indiquant qu’elle était bel et bien guérie, comme on le fait à chacun des patients qui réussissent ce tour de force. Mais après, elle a découvert la morphine…Il n’empêche. Son regard brille. Elle a décidé de s’en sortir. 

«Le système est trop bureaucratisé, lance le médecin entre deux patients. Les gens qui y travaillent se défoncent, mais la structure les bouffe. Il faut mettre un visage et un nom sur la réalité. Il faudrait qu’il y ait un ministre qui ait le sida et l’hépatite C. La souffrance, c’est de la misère multipliée par 8.» La bonne nouvelle, c’est que l’hépatite C se guérit. Il faut juste décider d’y mettre l’argent. Le problème, c’est que ce n’est pas une maladie noble comme le cancer…Il est 13h46. Jean Robert n’a toujours pas pris de pause. La détresse humaine non plus.

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