Un système de santé à rendre malade

Par nathalie-deraspe

À moins d’une révolution (souhaitons-la autre que «culturelle»), l’écart qui se creuse d’année en année entre les dépenses et les revenus fera en sorte que les soins de la santé grugeront plus de 50% du budget de la province d’ici quelques années. Ce qui n’empêchera pas les gens de mourir dans les corridors d’urgence.

Depuis 1975, la part du PIB québécois consacrée aux services de santé est en forte hausse. Celle-ci est passée de 8,3% à 10,7% en 2006 et de 7,1% à 10,3% dans le reste du pays. Ces données reflètent un fait indéniable. Le Québec dépense au-delà de sa catégorie de revenu. Pour l’exercice 2007-2008, le budget de la santé et des services sociaux se chiffrait à plus de 23,6 milliards de dollars, en hausse de 6,5% par rapport à l’exercice précédent. Pour une population de 7,3 millions de personnes, cela équivaut à plus de 3 200 $ per capita. Là-dessus, plus de 14 milliards de dollars servent à financer les activités des établissements de santé et de services sociaux mais exclut les dépenses telles la masse salariale des médecins et l’assurance-médicaments. En améliorant ne serait-ce que 1% l’efficacité budgétaire des établissements du réseau public, l’État sauverait plus de 136,7 millions de dollars. Cette question est d’autant plus importante dans un contexte où le taux de croissance du budget de la santé est ni plus ni moins le double de celui des revenus de l’État.

Un réseau inefficient

Comme l’a constaté Pierre Ouellette, professeur titulaire, du Département des sciences économiques de l’UQAM, dans un rapport datant du 4 novembre 2007 et remis au Groupe de travail sur le financement du système de santé, il y a inefficience dans le réseau. Celui-ci pousse plus loin son observation en affirmant que le cadre de gestion actuel est loin d’être un modèle d’incitation à l’efficience maximale.
«Les administrations hospitalières sont essentiellement des bureaucraties dont le mandat est de gérer les ressources du réseau selon le cadre budgétaire imposé par le gouvernement: les personnels sont tous réglementés par une convention de travail rigide qui couvre tous les établissements de la province; et les immobilisations importantes doivent être approuvées par le ministère après un processus de plusieurs années. Le respect des règles est une source de sécurité d’emploi pour les gestionnaires. Sans compter que toute innovation ne peut être récompensée dans ce cadre. Une innovation (coûteuse en terme d’effort et de temps) source de baisse de dépenses serait une source de baisse budgétaire. L’établissement serait pénalisé (son budget serait revu à la baisse) et l’innovateur ne serait pas récompensé.» Dans ces conditions, les établissements n’ont pas intérêt à ce que le gouvernement développe une façon de mesurer leur efficience puisque des sanctions finiraient tôt ou tard par toucher ceux qui font preuve de laxisme.
«Les hôpitaux ne sont pas évalués et le savent», soutient Pierre Ouellette. En multipliant les règles bureaucratiques et en transformant les gestionnaires en bureaucrates, le gouvernement finit par être responsable de l’inefficacité du système. Or, de deux choses l’une. On poursuit dans l’interventionnisme à outrance, ce qui conduira inévitablement à plus de bureaucratisation, ou on opte pour un mode de gestion plus efficace, axé sur la performance.
À l’heure actuelle, il est légitime de se questionner. Les établissements du réseau utilisent-ils les budgets de façon à maximiser les bénéfices sur la santé des populations ?

Plutôt que de gérer des dépenses, il faut produire de la santé, insiste le chercheur avec acuité. Le budget alloué aux hôpitaux doit être relié à ce que les hôpitaux produisent. Ne pas tenir compte du problème d’incitation, c’est fermer les yeux sur ce qui a miné le fonctionnement du système jusqu’à présent. Opter pour une approche qui rend les hôpitaux autonomes et responsables est clairement plus novateur et s’écarte des sentiers habituellement fréquentés par notre fonction publique. «Se faire confiance requiert parfois de l’audace», conclut Pierre Ouellette.

Bonis à la casse
«Depuis les fusions entre établissements de santé, l’organisation se fait en silo, confie une employée de l’Hôpital régional de Saint-Jérôme. Il y a tellement de nouveaux chefs et de gestionnaires que tout est devenu compliqué. Et les bonus se donnent au détriment du personnel sur le plancher. Celui qui coupe trois infirmières a sa prime. Ça ne peut pas faire autrement que de miner les relations de travail. Les gens comptent les jours qui leur reste d’ici la retraite. Avant, on travaillait comme des malades, mais on avait du fun.»

Dans le secteur de l’entretien ménager, l’hôpital est passé de deux personnes par étage à une seule pour deux étages. Celle-ci est chapeautée par deux chefs de secteur, un chef de service, la directrice adjointe, le directeur des services techniques et en bout de ligne, le directeur général. Six patrons, un employé. «Les gens se crèvent à l’ouvrage et n’en reçoivent pas de bonis, lance la préposée aux bénéficiaires et présidente du syndicat CSN pour les employés de soutien et du personnel de bureau, Julie Lachapelle. Il y a même des gens en congé de maladie qui en bénéficient.»

Près de 5% des employés de ces deux secteurs ont fait des réclamations cette année. Le trois quart provient des préposés. De ce nombre, une cinquantaine a abouti à la commission des lésions professionnelles. À terme, un seul dossier peut coûter jusqu’à 100 000$. «Le taux d’accident est trop élevé, dénonce le directeur de santé et sécurité Pierre Desjardins. Les équipements sont désuets et les gens vont parfois se risquer à déplacer un malade par eux-mêmes. Mais nous sommes en train de monter un projet pour tenter de rétablir la situation.»

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