Annie Lord change les mentalités, un bouquet à la fois
Artiste florale, artisane, cueilleuse ou coureuse des bois : les qualificatifs sont multiples pour décrire le travail d’Annie Lord. De la production à la vente, celle-ci confectionne, en harmonie avec la nature, des bouquets locaux et écoresponsables.
La fleuriste me reçoit chez elle, dans son petit havre de paix situé à Val-Morin. L’atelier de l’artiste se situe à l’arrière de la maison. À l’intérieur, on retrouve plusieurs branches de conifères, quelques tulipes et plusieurs autres plantes ou branches cassées, qu’Annie Lord cueille dans les grands espaces vagues ou les forêts, majoritairement entre Sainte-Adèle et Sainte-Agathe-des-Monts.
Coureuse des bois
« Au printemps, il y a beaucoup d’arbres tombés. C’est intéressant parce que j’ai accès à ce qui était en haut », explique la cueilleuse. La cueillette, c’est le geste le plus écoresponsable en fleuristerie. Annie Lord m’explique pourquoi : « Les plantes sauvages n’ont pas besoin d’eau, d’engrais ou de pesticides. Elles sont déjà dans leur milieu naturel. Il faut juste les cueillir convenablement. »
Cette dernière pratique ce qu’on appelle la cueillette éthique. Elle s’assure donc de bien tailler le bois, sans abimer les arbres. Elle diversifie ses lieux de cueillette et elle évite de cueillir des plantes rares. « La cueillette éthique est basée sur ce qui est abondant : on va cueillir ce qui est déjà là en grande quantité. Juste les conifères, c’est beau à toutes les saisons. Dans les bouquets des mariés, on peut mettre quelques branches et c’est super intéressant. »
Annie Lord cueille toute l’année. En hiver, elle y va en raquettes. Sa cueillette est influencée par les commandes qu’elle reçoit. L’artisane fait surtout des mariages, des funérailles ou des anniversaires.
En harmonie avec la nature
En complément à sa cueillette, Annie Lord cultive environ 70 espèces de plantes sur sa fermette à Val-Morin. Encore une fois, l’artiste florale s’ajuste à son environnement. « Je développe des cultures de fleurs à même le terrain. Je n’avais pas envie de le niveler avec des rangs », souligne-t-elle. Elle favorise donc la permaculture, une approche qui vise l’harmonie avec la nature et les écosystèmes, et qui se base sur la diversité des cultures, leur résilience et leur productivité naturelle. « C’est beaucoup de travail au départ. Tu travailles très fort les premières années, mais ensuite, tu récoltes parce que c’est permanent. C’est un modèle de développement plus durable », spécifie Annie Lord.
Ses bouquets se distinguent de ceux que nous avons l’habitude de voir et d’acheter. Beaucoup plus naturels, ils abordent souvent des couleurs plus sobres. Un travail d’éducation a été nécessaire au départ, pour déconstruire notre idée toute faite d’un bouquet de fleurs, mais les gens sont maintenant nombreux à adhérer à son concept et à apprécier le résultat. « Beaucoup de gens viennent vers moi parce qu’ils n’aiment pas vraiment les fleurs classiques. Ils cherchent quelque chose de plus naturel, et de moins artificiel », constate l’artiste florale.
Un modèle de simplicité volontaire
Après des études en art, en horticulture, en sciences sociales et même en ébénisterie, Annie Lord a choisi de quitter Montréal pour la campagne, sur un coup de tête. En 2015, elle s’installait à Val-David, pour ensuite acheter sa petite fermette à Val-Morin, en 2018. Dès son arrivée dans la région, elle commence à cueillir et à faire des bouquets, sans trop savoir où ça la mènerait. En 2016, elle officialisait son entreprise. Aujourd’hui, elle vit pleinement de ce travail, qui lui permet de conjuguer son essence artistique à sa passion pour la nature et à sa fibre environnementale.
L’administration occupe facilement la moitié de ses semaines, indique l’artiste florale. L’été, elle jardine tôt le matin ou à partir de 15h, pour éviter les grandes chaleurs. Une employée à temps partiel et des stagiaires arriveront bientôt, pour lui donner un coup de main. « Le matin, j’ouvre la petite serre. Je fais aussi un peu de cueillette de tulipes. J’arrose les semis et je fais la création de bouquets quand il y en a. Je suis une fleuriste qui n’a pas de bouquets à faire à tous les jours, c’est ça le modèle », explique-t-elle.
Alors que l’industrie des fleurs carbure à la consommation et à la production de masse, Annie Lord mise davantage sur la décroissance et la simplicité volontaire.
Les fleurs, une industrie polluante
Derrière les bouquets de fleurs, l’impact environnemental est énorme. Au Québec, environ 70 % des fleurs sont importées, souligne la fleuriste. Tout ce qui n’est pas produit au Québec provient donc de grands producteurs de fleurs, basés en Ontario, dans l’Ouest canadien ou à l’extérieur du pays. La production et l’exportation de fleurs est un secteur économique important, notamment en Colombie, à l’Équateur et au Kenya. « C’est incroyable quand même qu’on fasse venir des fleurs en avion », déplore Annie Lord. Cette production de millions de fleurs, ensuite exportées vers le Canada, les États-Unis ou l’Europe, requiert de grandes quantités d’eau et de pesticides. Pour assurer la conservation des fleurs, on doit également les réfrigérer, ce qui constitue des couts importants, ajoute Annie Lord. Sans oublier que les personnes qui travaillent dans ces grandes usines, majoritairement des femmes, sont sujettes à développer des problèmes de santé.
« Je suis dans un autre univers complètement », mentionne Annie Lord. « Je ne suis pas du tout dans la grosse production. Tout ce qui est subventionné dans notre société, c’est toujours la création d’emplois et la grosse machinerie. Mais ça ne me parle pas, ce n’est pas moi. Je suis à l’échelle humaine. »