C’est si bon de vieillir
Par pierre-birlichi
Dans le monde entier, la clientèle se tourne vers des vins jeunes, ou relativement jeunes. C’est très bien pour celui qui le produit, car ses chais se vident plus vite pour accueillir la vendange suivante. C’est idéal pour celui qui le vend, car ses stocks tournant plus vite, le marchand optimise son immobilisation financière. Mais du point de vue de consommateur, avons-nous vraiment intérêt à boire des vins aussi jeunes?
Il est bien évident que de nombreux vins sont faits pour être bus dans l’année. On pense naturellement au Beaujolais et à son rendez-vous annuel du 3e jeudi de novembre. Pour les autres vins rouges comprenant essentiellement du merlot, du pinot noir, du sangiovese, du tempranillo, ou du zinfandel, ils peuvent être le plus souvent appréciés dès leur deuxième année. Pour tous les autres cépages, je vous suggère d’attendre la 3e, voire la 4e année après la date de vendanges. Pour les blancs, le chardonnay, le pinot gris s’apprécieront dès leur première année. Le riesling, qui peut patienter 30 ans, et autre sémillon sec gagneraient à être dégustés à partir de la deuxième année, tandis que les vins issus de grains nobles ou de vendanges tardives se laissent généralement désirer pendant 5 années pour laisser entrevoir leur maturité aromatique. Vous noterez avec moi que les cépages stars du Québec figurent dans la liste des vins à boire jeunes. Ce n’est pas un hasard.
En même temps, je vous assure que nous pouvons multiplier le plaisir gustatif et découvrir de nouvelles émotions en prenant la chance de laisser vieillir un peu nos bouteilles. Depuis la Grèce antique, on sait que le «chauffage» et l’enfumage des vins accélèrent leur vieillissement. Parallèlement, j’ai personnellement constaté que les vins vieillissent moins vite dans les caves très fraîches (10 à 11°C) de collectionneurs suédois ou québécois. Une nouvelle question se pose donc: êtes vous un moderniste d’inspiration antique? Ou un traditionaliste du XVIIIe siècle ? Dans ces deux cas, vous aurez compris que laisser reposer vos vins plusieurs mois, voire quelques années, contribue à multiplier par 2, par 3, et parfois davantage votre plaisir. Le moderniste pourra organiser un espace dans son salon ou tout autre pièce de la maison dont la température sera stabilisée, été comme hiver à 20°C max. Le processus de vieillissement n’en sera que plus rapide si jamais vous résistez à la tentation de ne pas y toucher au gré de vos allées et venues et des visites de la famille ou des amis. Je vous garantis que vos vins vieilliront vite, très vite, mais parfois aussi trop vite.
Si vous êtes traditionaliste du XVIIIe, vous vous organiserez, à l’instar des négociants de Bordeaux ou de Beaune du siècle des Lumières, pour optimiser vos conditions de stockage. Ce faisant, vous réalisez un très vieux rêve : descendre au sous-sol, trouver la clé, tourner la clé dans sa serrure, ouvrir la porte, contempler enfin vos racks remplis d’espoir, et résister à ces flacons dénichés sur les bons conseils de votre conseiller en vin, de votre agent d’importation privée, ou bien encore découverts à Nuit Saint Georges et empaquetés avec soin dans votre valise. Vous avez aménagé une pièce sombre et fraîche (11 et 12°C) dans votre sous-sol, ou investi dans un cellier. La cave fait partie de la visite de la maison, mais vous réservez votre petit coin de paradis pour vos intimes, et pour ceux qui peuvent comprendre et apprécier. Ici le temps travaille pour vous. Les valeurs financières et gustatives de vos vins croissent avec une large palette de plaisirs et de sentiments. Lorsque vous avez trouvé la perle rare, vous ne vous contentez plus d’une bouteille mais au minimum de six flacons afin de pouvoir suivre l’évolution de vos vins, année après année. Vos vins prennent de la bouteille, de l’âge, parfois trop, si l’on oublie de surveiller leur évolution. Impensable.