Mak et Junior
Par yves-guezou
Conte moral
Il y a quelques générations de cela, vivaient deux p’tits gars, à quelques états au sud d’ici. La deuxième guerre était à peine terminée et le pays entier vivait une période faste, joyeuse et insouciante. Dans leur milieu rural, Mak et Junior, deux copains et voisins, savouraient leurs 12 ans, le brin de paille à la bouche, la culotte courte et les idées longues sur ce que la vie allait leur apporter à chacun.
Tout baignait dans le soleil, les jeux en plein air et les mauvais coups que l’on a tendance à ne pas considérer comme tels à cet âge. Quand on leur demandait ce qu’ils voulaient manger pour le dîner, le souper et même le déjeuner, Mak voulait de la viande rouge et Junior de la viande blanche, chacun raffolait de sa couleur de protéines et n’en démordait pas. Forcément il existait un élément perturbateur dans cette extase de viande: la p’tite Isa Huot. Plus tard, Isa Huot voulait devenir ticienne. Il y avait bien une ou deux syllabes supplémentaires dans le mot mais les deux gars se rappelaient juste de ticienne. Et ticienne ça avait pas l’air drôle comme profession; Isa disait toujours: «Il faut manger des légumes et des fruits, cinq portions par jour, l’équilibre alimentaire c’est important, y a pas juste la viande dans la vie.» Elle était pas reposante pour Junior et Mak cette fille-là et ils tâchaient de l’éviter le plus possible, sans résultat, elle collait au portrait la Isa. Pour avoir la paix les garçons décidèrent, de conserve, de maquiller un peu leur viande: «Moi je vais la cacher dans un pain rond», décida Mak. «Et moi je vais la tremper dans la panure et dans l’huile, rétorqua Junior. Comme ça la Isa Huot elle nous achalera pu avec ses croqueries de légumes!» Ainsi fut fait et nos deux compères dégustaient leur morceau de viande bien caché dans le pain et la panure.
Mais ç’a l’air qu’une ticienne ça a une bonne vue et Isa Huot s’aperçut bientôt qu’il y avait tromperie: «Hey, je vous ai vus les gars, je sais que vous cachez votre viande mais y a toujours pas de légumes dans votre régime. C’est important pour la santé et blablabla…» Excédés, les acolytes décidèrent de lui clouer le bec une bonne fois pour toutes à la ticienne: «PuiFKe (junior avait un petit défaut de prononciation) c’est comme ça, on va lui préparer un menu spécial à la Isa Huot. On va lui trafiquer une assiette et ça va la dégoûter de nous écœurer!» Décida le premier. «J’M ton idée (Mak aussi avait une drôle de façon de parler) répliqua le second on va lui faire un menu dont elle va se rappeler.» En secret, Junior concocta une panure et une sauce avec du gras de poulet, il y ajouta chol et stérol pour faire bonne mesure. Le piège se trouvait dans la salade de choux qu’il prépara à côté afin d’attirer Isa à goûter son assiette; comme elle avait l’air un peu fade, il y ajouta du colorant vert fluorescent. De son côté, le p’tit Mak confectionna une boulette de viande trempée dans le gras et d’autres ingrédients inavouables, saupoudra sa préparation d’anti-vomitif pour être sûr et décora son pain d’une feuille de salade et d’une tranche de tomate, Isa n’y verrait que du feu. Le duo invita donc Isa Huot à venir constater les progrès qu’ils avaient fait et à goûter leurs assiettes. Après avoir été malade pendant deux jours, Isa Huot se réveilla avec les dents blanches fluo. «Je vais l’dire à tout le monde que votre bouffe c’est dégueulasse et que vous avez voulu m’empoisonner, j’irai même en parler à la télé!» Les deux gars jubilaient de leur tour et décidèrent d’étendre la plaisanterie: «Je vais vendre mon poulet par chaudières entières, décida Junior. Et pour qu’on me reconnaisse pas je vais changer mon nom, Major ou p’têt Colonel!» Et l’autre de renchérir: «Moi aussi, je vais en mettre dans plein de restaurants et je vais m’appeler Big Mak!»
Aujourd’hui, Isa Huot, toujours en cr… contre nos deux compères fait toujours campagne à la télé, ses dents aussi fluorescentes. Quant aux deux autres, on ne sait pas trop ce qu’ils sont devenus mais de toute manière ça n’aurait pas fonctionné leurs idées. Y a pas un estomac qui aurait supporté ça. Sauf peut-être un estomac de rédac’chef…