Chronique : S’aimer, c’est se libérer
Avez-vous vu le documentaire Orgasm Inc. sur Netflix? On y raconte l’histoire de l’entreprise américaine OneTaste. Sa mission? Redonner aux femmes du pouvoir sur leur sexualité et leur vie. Sa technique? La méditation orgasmique : un massage génital de 15 minutes (ou plus) qui permet d’atteindre une jouissance qui touche au spirituel, un orgasme si intense qu’il… guérit vos traumatismes d’enfance?
Cette idée n’est pas nouvelle. Jusqu’aux années 1920, certains médecins traitaient « l’hystérie féminine » en stimulant manuellement leur patiente. C’est même comme outil médical que seraient apparus les premiers vibrateurs modernes!
Mais OneTaste va plus loin. Elle mise sur la connexion humaine : celle entre le « masseur » et la « patiente », mais aussi avec son partenaire, ses amis, les autres. Rapidement, une communauté se forme autour de l’entreprise et de ses enseignements. Ce goût, l’orgasme, serait en fait le même pour tous les plaisirs. Dans la sexualité, il est poussé à son paroxysme, explique-t-on.
D’anciens membres, hommes et femmes, témoignent qu’ils sont devenus plus confiants, plus à l’aise socialement, plus confortables dans leur peau. Mais l’expérience est si intense que la fondatrice, Nicole Daedone, se rend compte qu’elle a un pouvoir immense sur ses disciples. Surtout, elle les connaît intimement : elle connaît leurs désirs, leurs peurs, leurs blessures. Inévitablement, elle en abuse, alors que son organisation se transforme, lentement, en culte.
Jouir, c’est se libérer
Dans les années 1950 et 1960, les chercheurs William Masters et Virginia Johnson commencent à étudier scientifiquement la sexualité humaine. En observant dans leur laboratoire des centaines de femmes et d’hommes s’adonnant au plaisir solitaire, ils récoltent des données et démentent des préjugés et des idées fausses. Ils découvrent, entre autres, que les femmes peuvent avoir plusieurs orgasmes, que l’orgasme clitoridien et le vaginal sont le même, et que les personnes âgées peuvent aussi avoir une vie sexuelle! Leur histoire est racontée dans la série dramatique Masters of Sex, si vous êtes curieux.
Cependant, Masters et Johnson forment aussi un programme pour convertir les homosexuels et les voient comme des déviants. Comme quoi l’ouverture d’esprit est souvent relative.
Mais ce qui crée le plus de controverse dans leurs recherches, à l’époque, c’est que les femmes peuvent être maîtresses de leur propre plaisir. Elles n’ont pas besoin d’un homme pour jouir.
Encore aujourd’hui, assumer sa sexualité peut être perçu comme un acte de rébellion, surtout si celle-ci s’écarte de la « norme ». C’est cédé à la tentation, au vice. C’est laisser le plaisir nous guider, peut-être vers la déchéance.
Imaginez alors l’attrait d’un gourou qui vous dit : « Oui, vous pouvez jouir. Jouir est même une fin en soi, un accès au divin. » Dans le documentaire Les femmes de Raël, disponible sur ICI Tou.tv, je n’ai pas l’impression que ce sont les extraterrestres ou les promesses du clonage qui font le plus de convertis. Ce sont plutôt l’amour libre et une sexualité décomplexée qui sont les plus séduisants.
Et tant chez les raëliens que chez OneTaste, faire partie d’un groupe est grisant. Explorer son corps, sa sexualité, son plaisir, quand on se sent supporté et aimé, semble très libérateur. Au début, du moins.
Se libérer, c’est s’abandonner
En 1973, la journaliste Nancy Friday publie My Secret Garden [Mon jardin secret]. Il s’agit d’un recueil d’entrevues, où des femmes révèlent leurs fantasmes et se confient sur leur sexualité. L’ouvrage fait bien sûr scandale. Ben voyons : les femmes n’ont pas de fantasmes!, crie-t-on.
D’ailleurs, l’émotion première qui ressort de ces courtes confessions, c’est la culpabilité. Pour jouir, les femmes interviewées par Friday s’imaginent des scénarios où le sexe n’est pas leur initiative, mais où elles finissent par s’abandonner au plaisir.
Une femme en particulier raconte qu’elle n’a jamais eu d’orgasme, jusqu’au jour où elle a sauté en parachute. Depuis, elle doit s’imaginer en train de se lancer dans le vide pour jouir. Autrement dit : jouir, c’est s’abandonner.
Mais cet abandon peut avoir des effets pervers, lorsqu’il est guidé par d’autres que soi. Ces cultes utilisent une logique tordue où la soumission devient une libération. Tu ne veux pas te montrer nue devant tout le groupe? C’est que tu es encore complexée par ton corps. Tu refuses les avances sexuelles d’un homme? C’est que tu n’es pas encore prête à jouir pleinement, librement. On vous encourage à vous rebeller contre vous-même, contre vos propres limites.
Pour ces cultes, il faut dire « oui » pour se libérer. Alors c’est le « non » qui devient tabou.
Se libérer, c’est s’aimer
Repousser ses limites est toujours douloureux. C’est encore plus vrai dans notre intimité et notre sexualité. Et si l’on veut grandir, il faut accepter une part de risque, s’aventurer à perdre le contrôle.
Mais comment reprendre le contrôle de soi, lorsqu’on s’est perdu en pensant se libérer?
Je crois qu’il faut d’abord s’aimer : s’accepter, s’écouter et se respecter. Il faut utiliser certaines de nos limites comme repère et comme appui, pour repousser et explorer nos autres limites. Il faut dire « oui » plus souvent, mais « non » fermement. Surtout, il faut s’entourer de partenaires et de proches qui nous appuient et nous respectent avant de nous pousser.