Le remonte-pente d'Alex Foster, à Shawbridge, en 1931. Photo : Collection du Musée du ski des Laurentides

Comment le ski a fait les Laurentides

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Au début du 20e siècle, les Laurentides comptent déjà plusieurs villages au nord de Saint-Jérôme. Grâce aux efforts d’Augustin-Norbert Morin et du curé Labelle, bon nombre de colons sont venus s’établir dans les « Cantons du Nord », comme on les appelle alors. Ils ont défriché et labouré la terre, pour en tirer de quoi manger et, espéraient-ils, prospérer. Mais rapidement, ils se sont rendus compte que ces terres rocailleuses avaient bien peu de potentiel pour l’agriculture. Au début des années 1900, plusieurs sont déjà partis, et le développement de la région stagne.

Mais l’arrivée d’un nouveau sport, le ski, change tout.

Tracer des sentiers

Notre histoire commence en 1905. Cette année-là, quatre membres du Montreal Ski Club, fondé l’année précédente, skient de Sainte-Agathe à Shawbridge (aujourd’hui Prévost) : un parcours de 34 km ! C’est la première randonnée de ski documentée dans la région.

À l’époque, le ski est surtout un sport pratiqué par la bourgeoisie anglophone. En fait, il faut même importer ses skis d’Europe, donc par bateau ! Et on skie surtout en ville. Mais l’arrivée du P’tit Train du Nord et du train de la colonisation de Montfort (aujourd’hui le Corridor aérobique) donnent accès à l’immensité naturelle des Laurentides.

Tranquillement, les skieurs tracent des sentiers et aménagent des collines pour des descentes. On pratique alors un mélange de ski de fond et de ski de randonnée. D’ailleurs, on descend peu de pentes puisqu’il faut, avant, les monter soi-même ! Quelques entrepreneurs ouvrent des gîtes pour héberger les randonneurs, bien que la plupart dorment encore chez des habitants.

En 1927, face à la demande grandissante des touristes, le Canadien Pacifique (CP) et le Canadien National (CN) mettent en service des trains de neige. Les skieurs peuvent alors prendre le train avec leurs skis, plutôt que les enregistrer à l’arrière avec les bagages. Ils peuvent même partout de Montréal le matin, skier toute la journée, puis revenir dormir en ville le soir venu !

Gravir des montagnes

Les trains de neige ouvrent les Laurentides aux skieurs venus de Montréal. Photo : Collection du Musée du ski des Laurentides

Le remonte-pente, c’est comme la poutine : plusieurs se disputent l’honneur de l’avoir inventé. Entre 1928 et 1931, Moïse Paquette, un garagiste francophone de Sainte-Agathe, et Alex Foster, un anglophone de Shawbridge, inventent tous deux le remonte-pente à câble.

L’idée est simple. On prend un camion, on enlève l’un des pneus et on attache un long câble sur la roue, qui est relié à une poulie en haut de la côte. Les skieurs s’accrochent au câble et sont tirés en haut, sans effort. (Mais ça salit un peu les mitaines.)

Avec cette invention, les skieurs peuvent faire plusieurs descentes dans une même journée ! Le ski alpin rencontre alors une popularité fulgurante dans les Laurentides. Les skieurs venus de Montréal débarquent par milliers durant les fins de semaine d’hiver.

Dans les décennies qui suivent, l’économie de la région se transforme. Le tourisme et la villégiature deviennent les moteurs économiques de la région, dépassant l’exploitation forestière. Les centres de ski se développent. Au remonte-pente sur une colline déboisée, on ajoute une cantine, de l’hébergement, de la location d’équipement… Bientôt, on installe même sur les pistes des canons à neige pour allonger la saison, et de l’éclairage pour allonger les journées.

Connecter les villages

Herman Smith-Johannsen, alias Jackrabbit, a tracé de nombreux sentiers dans les Laurentides. Photo : Collection du Musée du ski des Laurentides

Mais pendant que les skieurs envahissent les pentes, certains préfèrent encore skier dans la forêt. L’un d’eux est Jackrabbit : Herman Smith-Johannsen de son vrai nom. Né en Norvège en 1875, il habitera à Berlin, Cleveland, La Havane, Lake Placid et Montréal, avant de s’installer à Piedmont après le krach boursier de 1929.

L’association des hôtels des Laurentides et la compagnie de chemin de fer engagent Jackrabbit pour qu’il crée un réseau de sentiers permettant de skier de village en village et d’auberge en auberge. De 1932 à 1935, il relie des sentiers existants et trace la Maple Leaf, qui relie Shawbridge à Labelle sur quelques 120 km. Il tracera bien d’autres sentiers dans la région, dont la Western et la Johannsen.

Jackrabbit skiera et développera des sentiers jusqu’à l’âge de 104 ans. Il décédera en 1987, à l’âge de 111 ans, alors qu’il est le doyen masculin de l’humanité.

Mais il ne sera pas seul à contribuer à ce vaste réseau qui connecte alors les villages des Laurentides. Les frères Tom, Gault et Alex Gillespie à Sainte-Agathe-des-Monts, Mike Loken à Sainte-Anne-des-Lacs et Eddy Fortier à Sainte-Adèle, pour ne nommer que ceux-là, sillonneront tous les forêts pour y poser des balises et ouvrir la voie aux prochains skieurs.

À son apogée, le réseau initié par Jackrabbit comptait 1 600 km de sentiers.

Garder vivant notre patrimoine

Aujourd’hui, beaucoup de ces sentiers ont disparu. Le réseau a été morcelé par le développement immobilier, les routes, les changements climatiques et des droits de passages retirés. Heureusement des initiatives citoyennes, animées par des bénévoles passionnés, travaillent fort pour reconnecter et pérenniser le réseau de sentiers patrimoniaux des Laurentides.

L’une d’elles, les Routes blanches, permet de skier de nouveau de village en village. Depuis cet hiver, elles offrent trois parcours qui s’étendent sur plusieurs jours. Et dans les municipalités, on développe des pôles de plein air, on protège des aires naturelles et des droits de passage pour les générations futures, et on mise sur l’accès à la nature comme fondement de notre identité et de notre rapport au territoire.

Et tout ça, c’est grâce au ski. Encore aujourd’hui, le ski connecte les Laurentides.

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