(Photo : Courtoisie - UQO)
Pionnière en études féministes, Denyse Côté est professeure à l’UQO.

Condition des femmes : « Elle recule et elle avance. C’est inégal. »

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Des États-Unis qui abolissent le droit à l’avortement jusqu’à l’Afghanistan qui empêche ses filles d’aller à l’école, la condition des femmes se détériore un peu partout dans le monde, il me semble. Pour un article, je décide d’en discuter avec Denyse Côté. Considérée comme une pionnière en études féministes, elle est professeure au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Et elle n’est pas d’accord avec moi.

« Il y a 50 ans, vous n’auriez jamais considéré faire ça. Vous étiez fichu si vous vous intéressiez à la condition des femmes. Un homme aurait été considéré comme émasculé de parler de ça », me lance la professeure.

Malgré certains reculs, il ne faut pas perdre de vue les progrès faits ces dernières décennies, insiste-t-elle durant notre conversation. « La condition et l’égalité des femmes a toujours été comme ça. Elle recule et elle avance. C’est inégal. »

On avance

« Prenons le Québec. On a presque la moitié des députés qui sont des femmes. On n’avait pas ça il y a 5 ou 10 ans, et encore moins il y a 20 ou 50 ans », illustre Mme Côté. Après les élections d’octobre, l’Assemblée nationale comptera 58 députées sur 125 (46,4 %) : un record. Juste en 2014, elles étaient seulement 34 députées (27,2 %).

« Prenons Hockey Canada », poursuit-elle. Ce n’est pas d’hier qu’on sait que le milieu du hockey est machiste, peu accueillant pour les femmes, voire dangereux pour elles. « Mais qui aurait dénoncé Hockey Canada il y a 5 ou 10 ans? Là, ça fait un scandale national, et le premier ministre en parle. » La professeure souligne d’ailleurs le travail de la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, qui a talonné les dirigeants de l’organisation pour faire la lumière sur les cas d’agressions sexuelles.

On recule

Oui, il y a des reculs, concède Mme Côté, en particulier dans les pays où la droite conservatrice ou autoritaire accède au pouvoir. La professeure cite en exemple la Hongrie, la Pologne, l’Afghanistan et les États-Unis. Elle rappelle que les femmes en sont souvent les premières victimes, avec les minorités visibles et les personnes LGBTQ+.

C’est aussi vrai dans la plupart des crises. « La pauvreté des femmes a augmenté, parce que la pauvreté en général a augmenté », illustre-t-elle. Elle me cite Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Mais même lorsque ces droits reculent, il y a « toujours de la résistance », rappelle Mme Côté. Depuis le renversement de Roe v. Wade aux États-Unis, des réseaux semi-clandestins s’organisent déjà pour permettre aux femmes d’avoir accès à l’avortement.

On progresse

Ici, cependant, il serait difficile de revenir en arrière, juge Mme Côté. « Il y a eu un changement de culture, de valeurs. […] Quand j’étais jeune, toutes les femmes restaient à la maison. On ne pouvait pas s’imaginer un monde comme aujourd’hui », raconte celle qui a connu « la chape de plomb des années Duplessis », avant les années 1960. « C’est la Révolution tranquille qui a fait éclater ça. »

L’économie contemporaine rend aussi difficile de « renvoyer les femmes à la maison ». « À l’époque où on faisait beau-coup d’enfants, ils allaient en masse dans les champs ou les usines. Aujourd’hui, c’est fini. On a besoin de travailleurs hautement qualifiés. En plus, on a une pénurie de main-d’œuvre en ce moment. »

Surtout, les droits acquis ici inspirent les femmes ailleurs, comme les Iraniennes qui protestent contre l’obligation de porter le voile.

« Elles voient, par les réseaux sociaux, les libertés qu’ont les autres femmes dans le monde. La classe moyenne est forte. Les universités sont remplies à 50 % de femmes. Dans ces milieux-là, il y a une vie parallèle, beaucoup plus libre que celle dans la rue. »

Aussi, la résistance a changé là-bas, souligne Mme Côté. « Les hommes appuient les femmes. Ce n’était pas le cas avant. » Après tout, le changement part toujours de la base, rappelle-t-elle.

« S’il n’y a pas une société civile forte qui le réclame, ça ne marchera pas. […] Mais sans personne au pouvoir, il n’y a rien qui change non plus. »

Même ici, il reste encore « beaucoup de travail à faire » pour atteindre l’égalité hommes-femmes, convient la professeure C’est pourquoi elle rappelle que le progrès fait, « il n’est pas venu tout seul! Il y a beaucoup de monde qui a travaillé très fort ».

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