En entrevue avec Boucar Diouf : « Il faut élargir la notion d’inclusion à la biodiversité »

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Boucar Diouf sera de passage dans la région des Laurentides ce mois-ci. Il présentera son 5e spectacle solo, Nomo Sapiens, au Théâtre Gilles-Vigneault les 8 et 9 septembre, ainsi qu’au Théâtre Le Patriote les 29 et 30 septembre.

Selon lui, il s’agit du spectacle « le plus achevé » qu’il a écrit. Fidèle à son habitude, il allie humour, science et pédagogie pour faire rire le public un bon coup, mais aussi pour le faire réfléchir. Cette fois, l’animateur, humoriste et auteur s’attarde à la primatologie : il interroge la place de l’espèce humaine sur la planète et la replace dans la création. Le titre de son spectacle fait référence à la fusion entre « homo » et « nono » sapiens, un clin d’œil à la grande intelligence humaine, mais également à sa grande stupidité. Avec Boucar Diouf, on discute de la connerie humaine, de diversité au sens large, des bonobos, de vérité, de « chance cosmique » et de rire.

Après avoir lu le synopsis de votre plus récent spectacle, je me demande : est-ce que le fait d’y assister et de voir l’humain être replacé au cœur du monde animal, ça rend l’individu plus modeste ?

J’ose espérer que oui. Parce que l’idée du spectacle, c’est de replacer l’humain dans la création, comme un animal qui a émergé de l’évolution. L’humain, c’est un animal d’une grande intelligence, mais qui peut aussi faire preuve d’une grande stupidité. La preuve, c’est le seul animal qui détruit tout son milieu, il avance et il ne s’arrête pas. Peut-être même que son intelligence est sa connerie, en fait. C’est dangereux l’intelligence parfois, parce que quand on est très intelligent, on pense que pour tout ce qu’on gâche, on va trouver une solution. Au lieu de dire on arrête le plastique, on va trouver des bactéries pour détruire le plastique.

Quand on regarde les deux extrêmes – la grande intelligence et la grande stupidité – y a-t-il un juste milieu à atteindre ?

C’est l’équilibre que ça prend. Il faut l’équilibre et plaider pour la diversité. Je ne parle pas juste de diversité au sens humain du terme. C’est important l’inclusion dans les sociétés humaines, mais quand vient le temps de plaider pour l’inclusion du reste du vivant, on n’en parle pas. La planète ne nous appartient pas. On en fait partie, mais elle ne nous appartient pas. On a eu la chance cosmique d’être l’espèce la plus clairvoyante peut-être, celle qui fabrique des outils et qui a le droit de vie et de mort sur les autres, mais ça vient aussi avec un devoir d’inclusion. Il faut élargir la notion d’inclusion et de célébration de la diversité, il faut l’élargir à la biodiversité. Sans le reste du vivant, on ne serait plus là. Sans les plantes pour fabriquer la nourriture, on ne serait plus là. Et sans les insectes pollinisateurs, on aurait beaucoup de difficulté.

Dans la majorité de vos travaux, vous associez la pédagogie à l’humour. Je me rappelle qu’au secondaire, les professeurs qu’on aimait le plus, c’était ceux qui nous faisaient rire. Leurs cours étaient les plus stimulants. Vous aussi, vous avez enseigné. Pourquoi l’humour permet-il ça ?

Quand les gens rient, toutes leurs défenses tombent. Quand ils rient, les gens se penchent parfois et tapent même la personne à côté d’eux, qu’ils ne connaissent pas. Un grand rire, ça détruit la bulle de protection d’une personne. Et même quand tu es un étranger et que tu fais rire quelqu’un, tu es capable de rentrer là-dedans. Les humoristes savent que quand tu fais rire les gens, ils vont bâtir une relation avec toi, même si tu ne les connais pas. Ils vont dire « je te connais Boucar ». Le rire, c’est un outil de rapprochement très fort. Dans mon spectacle, j’aborde le sujet du rire, pour dire aux gens que le rire c’est important pour notre cerveau hyperactif, un peu parano et comme un hamster qui court tout le temps. L’humour sert à ventiler le cerveau. On a longtemps pensé que le rire était le propre de l’humain, mais c’est faux. Les chimpanzés rient, les grands singes rigolent, ils font des blagues. Les primatologues vous diront qu’ils se tirent des pipes les uns les autres, qu’ils chatouillent les bébés. L’humour est plus vieux que l’espèce humaine.

Donc les autres espèces rient, mais est-ce qu’ils font aussi de l’humour ?

L’humour, c’est un peu plus complexe. Mais Frans de Wall, un primatologue néerlandais, raconte une histoire dans ses livres où tu vois des bonobos [une espèce de primates] faire un plan pour faire capoter un des leurs. Puis, il y en a d’autres qui font des sons et Frans de Wall est convaincu qu’ils rigolent. Il existe des exemples où on pense que d’autres espèces manient l’humour, mais différemment de nous. Parce que l’humain fait vraiment autre chose, mais ce mode de communication a émergé dans l’évolution. C’est un outil efficace. Quand tu es un étranger et que tu arrives au Québec, si tu es capable de rire à la même place que les Québécois et les faire rire en parlant d’eux, ça devient un tremplin extraordinaire. C’est comme si on te disait : « tu fais partie de nous parce qu’on rit des mêmes choses ». Socialement, l’humour est un outil de rapprochement, un outil de résilience et un outil de séduction, au sens large du terme.

Dans votre travail, il y a oui, l’humour, mais aussi la science et sa vulgarisation. J’imagine mal un monde où l’humour n’existerait plus ou ne serait plus apprécié. Mais avec tout ce qui se passe actuellement dans les médias, sur les réseaux sociaux et avec la désinformation, craignez-vous pour la science ?

De plus en plus, il y a un mouvement de brouillage entre la vérité et le mensonge. Quand Donald Trump est arrivé au pouvoir, il parlait des vérités alternatives. Il n’y a pas de vérité alternative. En science, ça n’existe pas. En science, une vérité est une vérité jusqu’à temps qu’une nouvelle vérité la remplace ou la corrige. Mais de dire moi j’ai ma vérité et toi tu as ta vérité, ça ne peut pas marcher. Je m’exprime beaucoup sur ce sujet, souvent par l’angle de l’écriture avec ma chronique [à La Presse], mais aussi en donnant la place aux chercheurs pour s’expliquer. Ça fait 10 ans que je fais une émission [La nature selon Boucar] où j’amène les chercheurs de toutes les universités imaginables à venir s’exprimer. Il faut prendre la parole et prendre de l’espace, parce que l’espace que les chercheurs ne prennent pas dans les médias, c’est d’autres qui la prennent. Mais la crise est bien là et avec l’intelligence artificielle, on ne sait pas ce qui va arriver. Comment va-t-on faire pour différencier le vrai du faux ? Ce sera un méchant challenge dans le futur.

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