Enseigner aux futurs enseignants
Il manque d’enseignants qualifiés au Québec. Mais en former des nouveaux, et s’assurer qu’ils ne quitteront pas la profession, comporte son lot de défis. Discussion avec Mylène Leroux, professeure au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec en Outaouais (UQO).
« On voit que, ces dernières années, il y a une baisse des inscriptions. On sait aussi qu’un certain nombre d’enseignants quittent dans les premières années d’emploi. Mais depuis la pandémie, ce n’est pas juste dans les premières années. Il y a des enseignants qui ont changé de carrière ou qui ont pris leur retraite plus vite », témoigne Mme Leroux.
C’est que la profession d’enseignant, déjà difficile et complexe, s’est alourdie ces dernières années, explique la professeure.
« On leur demande toujours plus, avec moins de temps et moins de ressources. Les enseignants sont payés 32 heures et des poussières par semaine. Mais je ne connais pas d’enseignant qui travaille ça. Leur temps n’est pas reconnu à sa juste valeur. »
Les futurs enseignants le savent très bien. Et pourtant, il y a toujours des courageux pour s’inscrire et persévérer.
Le choc du stage
Cependant, ils ne finissent pas tous leur diplôme. « Il y a au moins le tiers des étudiants qui quittent. » Dans certaines classes, ça peut être jusqu’à la moitié, raconte Mme Leroux.
« J’ai croisé des étudiants qui ont un super potentiel et qui amènent des réflexions intéressantes, mais qui quittent après le premier stage, parce qu’ils réalisent que ce n’est pas pour eux. »
D’ailleurs, ce premier stage est souvent vécu comme un choc, continue la professeure. « Quand on entre en enseignement, on a déjà un vécu comme élève. Et on continue d’avoir ce regard d’élève. Notre travail, c’est de faire la transition. On n’a pas le même rôle et on n’observe pas les mêmes choses quand on est enseignant. Aussi, la classe et la société se sont transformées depuis le temps où on était élève. »
Faire apprendre est aussi une tâche complexe, souligne Mme Leroux. « Il y a des cours dans la formation pour cibler différents aspects de la profession. Mais voir ces notions dans des cours séparés, ce n’est pas la même chose qu’en classe, où il faut mettre tout ça ensemble. »
Et c’est sans compter toutes les différentes interactions avec les élèves, les interventions pour répondre aux comportements problématiques, et les nombreux imprévus, comme les exercices d’incendie. « Avec la pandémie, il y avait la gestion des mesures sanitaires, et les cours à distance. Ce sont toutes des choses qui viennent interférer avec l’enseignement. »
Être bien outillé
Avec la pénurie d’enseignants qualifiés, les centres de services scolaires doivent parfois engager des enseignants non légalement qualifiés. Souvent, ceux-ci ont un baccalauréat dans la matière qu’ils enseignent, mais pas de formation en pédagogie.
Pourtant, cette formation est essentielle pour parvenir à faire apprendre les élèves, croit Mme Leroux. « Souvent, les étudiants vont nous dire que la théorie et la pratique sont tellement éloignées. Mais la théorie devrait devenir une grille de lecture, pour analyser ce qui se passe dans la classe et trouver des pistes. »
Par exemple, certains cours donnent des outils non seulement pour gérer, mais aussi pour prévenir les comportements dérangeants. Arriver préparé, penser à des consignes claires, s’assurer que les élèves ne sont pas perdus entre les activités, que celles-ci sont adaptées aux capacités des élèves, prévoir quels élèves demanderont une attention particulière, etc.
« Je vais réfléchir d’avance à ces différents aspects-là. Mais si je ne suis pas formée pour le faire, il y a des éléments qui vont m’échapper. Donc je vais avoir plus de problèmes de comportement qui vont émerger », illustre Mme Leroux. Et pendant qu’on fait de la discipline, on n’enseigne pas.
Développer sa résilience
Malgré tous ces défis, qu’est-ce qui motive les étudiants qui persévèrent jusqu’à la fin de leur formation? « Ça, c’est une question qui m’intéresse beaucoup. » La résilience des enseignants et comment la cultiver est l’un des sujets de recherche de Mme Leroux.
« Notre cerveau est fait de manière à toujours prévenir le danger. On est beaucoup dans cette dynamique-là, où on voit ce qui manque. On projette le bonheur et le bien-être pour plus tard. Mais le bonheur, il se trouve dans les choses quotidiennes. »
Durant un stage, par exemple, elle demande aux étudiants de prendre une « photo du bonheur », ou de noter trois choses dont ils sont fiers dans leur journée. « C’est de se replonger dans un moment où on avait du bonheur d’être là : le plaisir qu’on a eu avec les élèves, de les voir progresser, d’échanger avec nos collègues. Bref, un moment où on se sentait à notre place, intégré dans le milieu. »
En cultivant ces moments qui les rendent fiers, heureux et qui leur donne un sentiment d’accomplissement, les enseignants trouvent du sens dans leur travail. Cela permet aussi de rééquilibrer les journées plus difficiles, explique la chercheuse.
L’importance de la reconnaissance
Cela dit, il faut aussi revaloriser la profession d’enseignant dans la société en général, selon Mme Leroux. « S’il y avait une meilleure reconnaissance de leur temps et de leurs ressources, je ne suis pas sûre qu’il y en aurait autant qui quitteraient. »
« Enseigner paraît beaucoup plus facile que ça l’est. Parce que tout le monde est allé à l’école. Mais ce n’est pas juste de garder un enfant et de faire un petit jeu avec lui. Il faut vraiment faire apprendre les élèves et développer leurs compétences pour qu’ils fonctionnent dans la société », continue-t-elle.
C’est pourquoi il faut encourager et soutenir les enseignants qui sont là. « Moi, je leur lève mon chapeau, mais aussi aux équipes, aux gens dans les centres de services scolaires. Il y a tellement de gens qui travaillent fort. C’est important de leur dire au quotidien. Juste de les remercier peut faire une belle différence », conclut la professeure.
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« S’il y avait une meilleure reconnaissance de leur temps et de leurs ressources, je ne suis pas sûre qu’il y aurait autant d’enseignants qui quitteraient. »
– Mylène Leroux
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Inscriptions
À Saint-Jérôme, le nombre d’inscriptions est assez stable, car le programme est contingenté. Entre 2018 et 2021, il y avait entre 50 et 60 étudiants par cohorte.
À Gatineau, la cohorte de 2015 était de 80 étudiants, une année record selon Mme Leroux. Mais seulement 44 ont terminé la formation en 4 ans. En 2018, les inscriptions avaient chuté à environ 50 étudiants. De 2019 à 2021, les inscriptions ont remonté à environ 60 étudiants par cohorte.
Selon un article du Journal de Montréal paru le 1er novembre 2021, le taux de diplomation dans les programmes d’enseignement se situe entre 61 % et 75 % selon les institutions.
Près de 25 % des enseignants quittent la profession dans les 5 premières années.