Financement : Donner aux organismes les moyens de leur mission
(Avec l’aide d’Ève Ménard) Le financement est au coeur des préoccupations des organismes de la région. Sans subventions gouvernementales, il est très difficile, sinon impossible, de remplir leur mission auprès de la population. « Ç’a toujours été un défi », insiste André Genest, préfet de la MRC des Pays-d’en-Haut. « Je pense que, historiquement, les organismes communautaires ont tout le temps été vus comme des endroits où le personnel pouvait se débrouiller même s’il n’y a pas grand-chose. Parce qu’il a le coeur sur la main », illustre Farah Wikarski, agente de liaison à la mobilisation au Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL). Mais avec l’augmentation de la demande pour leurs services d’un côté, et l’augmentation des coûts d’opération de l’autre, certains organismes n’y parviennent tout simplement plus, et doivent faire des choix.
Il y a bien eu des annonces pour rehausser le financement des organismes, reconnaît Mme Wikarski. « On va accueillir les nouveaux montants, mais ça reste toujours insuffisant. » Même si les millions de dollars annoncés peuvent paraître « impressionnants », ils représentent bien peu pour les organismes en bout de ligne, nuance-t-elle. « Quand on le morcelle par région à la grandeur du Québec et par organisme, ça peut peut-être représenter 25 000 $ par organisme ? C’est intéressant, mais quand on sait toutes les dépenses, ça ne soutient pas réellement. »
« Il y a une limite à faire plus avec moins »
Selon l’agente de liaison, les organismes arrivent maintenant au bout de leurs moyens. « C’est sûr qu’il y a une limite à faire plus avec moins. Un moment donné, les organismes ne peuvent juste plus répondre aux besoins. »
Les principales dépenses à avoir augmenté sont les loyers et les salaires, souligne Mme Wikarski. « Mais tout dépend des organismes. Certains font beaucoup de déplacements, donc le coût de l’essence vient jouer sur leur budget », illustre-t-elle. Pour les organismes en aide alimentaire, c’est l’augmentation du panier d’épicerie.
« L’observatoire de l’ACA [Action communautaire autonome], mis sur pied pendant la pandémie, avait sorti une étude en 2021. Elle avançait que les organismes avaient atteint un point de rupture. Et je pense qu’on est au même point, sinon pire », poursuit l’agente. Les équipes de travail sont réduites, la demande augmente, tout comme la détresse sociale et les listes d’attente, énumère-t-elle. « Ça rend le climat de travail plus difficile. »
Et on en voit déjà les conséquences. « Dans certaines régions, des organismes ont dû fermer leurs portes. D’autres, et on l’a vu à quelques reprises dans les Laurentides, ont juste décidé de couper certains services. Parce qu’ils n’y arrivent plus ! » Les organismes sont donc confrontés à des choix, entre soutenir leur équipe de travail, lui offrir des conditions décentes, les services offerts, le coût général de l’inflation, le coût du loyer, etc. « C’est un jeu d’équilibre fragile », confie Myriam Buyle, coordonnatrice à l’Échelon des Pays-d’en-Haut.
Même les organismes qui possèdent leur bâtisse ont des coûts à assumer, souligne Mme Wikarski. « Une bâtisse, ça s’entretient. Forcément, après 20-25 ans, la toiture est à refaire, la fondation est craquée, etc. Et les coûts de réparation du bâtiment, ç’a vraiment grimpé. » Mme Buyle cite les frais de déneigement et des services d’entretien, qui ont augmenté beaucoup dernièrement. « Par chance, nous partageons les frais avec un autre organisme, mais ça paraît ! »
Reconnaître la valeur du travail
Malgré son dévouement, le personnel est aussi affecté par ces contraintes financières. « Il y a des limites à ce que des humains peuvent donner. Sinon ça va au détriment de leur propre bien-être, physique et psychologique. Des arrêts de travail, on en voit dans tous les domaines, mais on en voit beaucoup dans le milieu communautaire », souligne Mme Wikarski.
« Le plus gros enjeu dans notre cas, c’est de maintenir un salaire qui reconnaît la valeur de nos intervenants », souligne Mme Buyle. L’absence de personnes sur le terrain et le roulement de personnel rendent difficile de rejoindre les personnes dans le besoin. « Les personnes avec un trouble de santé mentale s’isolent beaucoup. Et nous n’avons ni le temps, ni les moyens d’aller les chercher », illustre-t-elle.
Toujours à refaire
Ironiquement, obtenir du financement monopolise une part importante des ressources des organismes. « Souvent, ce sont eux qui vont monter les demandes d’aide financière, malgré qu’ils n’ont pas toujours le personnel pour le faire. C’est ce qu’ils rencontrent comme grande difficulté », explique M. Genest. « Il y a des gens qui passent leur temps à monter des projets. Et ils ne savent pas s’ils seront financés. Tous les organismes se plaignent de ça. »
Surtout, ce financement est ponctuel, c’est-à-dire qu’il n’est pas récurrent, puisqu’il concerne des projets, précise le préfet. « Tu ne peux pas appliquer pour le fonctionnement de l’organisme. » Pour Mme Buyle, cela crée de l’incertitude. « Il est parfois difficile d’amorcer un projet sans savoir si nous aurons le soutien financier par la suite. Ça aussi, c’est un jeu d’équilibre délicat qui demande beaucoup de temps et d’énergie », indique-t-elle.
La paperasse et la bureaucratie autour de ce financement sont aussi une lourde charge pour les organismes, explique M. Genest. « Ils ont beaucoup de rapports à produire pour avoir les subventions. Ces rapports doivent détailler combien de personnes ont été touchées par le projet et ce que ç’a amené à la population, etc. »
Financer la mission ?
Selon Mme Wikarski, il faudrait plutôt miser sur un financement à la mission. « C’est ce qu’on revendique. C’est ce qui permet de se déployer réellement et de répondre aux besoins des communautés. » Ce financement est récurrent et même indexé chaque année. En plus d’assurer la pérennité et la stabilité des organismes et de leur mission, cela leur donnerait plus d’autonomie, pour répondre aux besoins des communautés et s’y adapter, soutient Mme Wikarski.
Mais le gouvernement en place semble plutôt privilégier un financement « ciblé, par secteur, sans consultation du terrain », déplore l’agente de liaison. « Le gouvernement a décidé que tel secteur était prioritaire, donc il décide d’y investir. Nous, ce qu’on dit, c’est que ça devient inéquitable. L’augmentation des besoins se fait sentir dans l’ensemble des organismes communautaires. » De plus, ce financement ciblé ne prend pas en compte les besoins particuliers des régions.