La Femme de Montréal : Thriller, société secrète et faire sa place comme femme

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Le dernier roman de Pauline Vincent, La Femme de Montréal, est d’abord un thriller, avec une société secrète nationaliste, des manigances dans l’ombre et des personnages qui utilisent l’intimidation et la violence pour arriver à leurs fins. Mais c’est aussi l’histoire de Claude, jeune femme dans le Québec de 1934-1935, qui doit se déguiser en homme pour faire sa place comme journaliste.

En entrevue, la résidente de Piedmont nous raconte comment son roman n’est pas si loin de son parcours professionnel et des secrets de son père.

Le vrai Ordre de la Patrie

L’Ordre de la Patrie, la société secrète du roman, est largement inspirée de l’Ordre de Jacques-Cartier, fondé en 1926 pour promouvoir les intérêts politiques, religieux et économiques des Canadiens français. « Mon père, en mourant, m’a dit qu’il avait fait partie de l’Ordre de Jacques-Cartier », raconte Mme Vincent.

« Tout d’un coup, dans ma tête de jeune femme, tout est devenu clair. Chez nous, c’était une porte ouverte de politiciens, de religieux, d’académiciens, et beaucoup de sujets importants sur l’avenir des Canadiens français flottaient dans l’air. C’était un lieu important », se souvient-elle.

C’est à partir de cette idée qu’elle a écrit La Femme de Montréal. Ainsi, tout ce qu’elle raconte sur l’organisation fictive de l’Ordre de la Patrie est vrai, sauf l’action qui fait avancer le roman, explique-t-elle. « Les membres s’appelaient des frères. Ils étaient tenus à la discrétion. Leurs épouses n’étaient pas au courant. Tout ce qu’elles savaient, c’est que leurs maris s’absentaient pour des réunions dans les sous-sols d’église. » L’initiation à l’Ordre est fidèlement décrite, ajoute l’autrice, selon la vraie initiation de 1954 dont elle a retrouvé les procédures.

L’Ordre de la Patrie est aussi décrit comme misogyne, xénophobe et antisémite. « Au Québec, on suivait la même voie que partout dans le monde. C’était dans les moeurs », déplore-t-elle. À l’époque, dans plusieurs réunions politiques ou artistiques ainsi que dans plusieurs établissements, des pancartes affichaient « Interdit aux Juifs et aux chiens », indique l’Encyclopédie canadienne.

D’ailleurs, même si l’action se déroule dans les années 1930, les thèmes abordés sont étrangement d’actualité. « On pense qu’il n’y a rien eu avant nous, mais on est issu de ça », souligne Mme Vincent. Le roman pose aussi la question : est-ce que le Québec aurait pu, lui aussi, sombrer dans le fascisme ? Par exemple, l’un des membres de l’Ordre se rend à Rome pour obtenir le soutien du pape, mais aussi du parti de Benito Mussolini.

Dans la réalité, l’Ordre de Jacques-Cartier sera dissous en 1965, lorsque Roger Cyr, l’un des grands maîtres de l’Ordre, publie La Patente en 1964 et révèle les secrets de l’organisation. « Quand je suis entrée à La Patrie comme journaliste, le rédacteur en chef, c’était Roger Cyr », raconte Mme Vincent. Mais ce n’est qu’en 1970 que son père lui confiera avoir été membre de l’Ordre.

Être femme et journaliste

L’autrice et journaliste Pauline Vincent. Courtoisie

Dans le roman, la jeune Claude Dufresne doit se déguiser en homme et de devenir Claude Dumesne pour obtenir un poste au journal La Laurentie. « Il ne faut pas oublier que, dans les années 1930, des femmes journalistes, il n’y en avait pas beaucoup. C’était surtout des femmes confinées aux affaires familiales, aux pages féminines ou aux pages de mode. Elles ne travaillaient pas nécessairement dans la salle de rédaction et apportaient leurs textes comme des pigistes. »

Mme Vincent a elle-même été journaliste longtemps. Elle a commencé à La Patrie en 1964, et le contexte d’alors n’était pas très différent de celui de son personnage Claude, raconte-t-elle. « Une de mes premières constatations, c’est qu’il y avait juste une toilette. On était trois femmes sur plus de 50 hommes. Donc on devait faire la queue en attendant que les hommes soient sortis », se souvient-elle en riant.

Même dans le Québec des années 1960, les femmes se faisaient rares dans les salles de rédaction. « D’abord, il fallait être engagée ! [Rires] Chose étrange, j’ai été engagée aux pages féminines, avec une très grande journaliste, Céline Légaré. À ce moment-là, il y avait une femme aux spectacles et une autre qui touchait à tout. Mais ç’a pris un certain temps avant qu’il y en ai plus, surtout dans les pages politiques, au général et dans les faits divers. Et le sport, on n’en parle pas ! »

Adopter les Laurentides

Pauline Vincent réside à Piedmont depuis maintenant 24 ans. Pourquoi a-t-elle adopté les Laurentides ? « Mon mari et moi, on écrivait. On a eu une période difficile où les contrats n’entraient plus aussi facilement. On a décidé de faire le tour du monde en voilier », commence à raconter Mme Vincent.

Son mari construit lui-même leur voilier de 42 pieds en ferro-ciment. « Il fallait entreposer nos meubles. J’ai dit : pourquoi pas à Saint-Sauveur ? J’aime Saint-Sauveur. » Mais au moment de partir, son mari tombe malade. « On a dû mettre une croix sur notre grand projet. »

Le couple décide donc d’acheter une maison à Piedmont, qui se trouve à être la résidence d’un ancien maire de Piedmont, Jacques Raymond, se souvient-elle. « Au décès de mon mari, je l’ai vendue. C’était beaucoup trop grand. J’habite maintenant sur la rue Principale, encore dans une maison patrimoniale. Elle a été construite en 1926 et elle a eu plusieurs vocations. C’est magnifique », confie-t-elle.

En plus d’être journaliste et écrivaine, Mme Vincent est la fondatrice de l’Association des auteurs des Laurentides (AAL), dont elle a été la présidente pendant 14 ans. On lui doit aussi le Centre international de poésie des Laurentides et la libraire Lu&Relu, entre autres.


À mettre à l’agenda

Pauline Vincent sera à librairie L’Arlequin de Saint-Sauveur, le 26 octobre dès 11 h, pour le lancement de La Femme de Montréal et dédicacer des exemplaires. L’événement devait avoir lieu le 5 octobre, mais avait dû être repoussé, parce que Mme Vincent avait attrapé la COVID. Elle se porte mieux.

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