Le pouvoir des sous noirs : « Les parents ne sont pas invincibles »
Dans l’album jeunesse Le pouvoir des sous noirs, l’autrice Sara Dignard et l’illustratrice Agathe Bray-Bourret abordent la santé mentale des parents, « du point de vue de l’enfant ». « Les enfants souffrent, mais les parents peuvent souffrir aussi parce qu’ils sont différents. Et les enfants n’ont pas d’outils pour ça. J’avais vraiment envie de parler de la petite fille, comment elle vit ça. C’est inspiré de ce que j’ai vécu dans mon enfance », explique Sara.
« Mon père est comme un aimant, il a deux pôles lui aussi. Un père heureux et un père triste. Entre les deux, je me sens perdue », raconte l’héroïne de Le pouvoir des sous noirs. Ce qui a surpris l’autrice, c’est que les enfants sont d’abord motivés par l’amour lorsqu’ils lisent l’histoire, rapporte-t-elle. « Pourquoi le papa pleure ? Est-ce qu’il est correct ? Au-delà des nuances de la maladie, je voulais rester dans cette simplicité-là, et ne pas tomber dans le diagnostic. »
Tout n’est pas noir
Sara croit que la génération actuelle a plus d’outils pour comprendre les enjeux de santé mentale. « C’est moins tabou. Donc c’est encore plus important d’en parler. Les parents ne sont pas invincibles : ils sont humains et ils souffrent aussi. C’est pour ça qu’il y a un voeu à la fin. Il y a quelque chose de beau qui s’en vient. Mais ce n’est pas une fin à la Walt Disney non plus, parce que ce n’est pas la réalité », nuance-t-elle.
D’ailleurs, l’autrice souhaitait aussi montrer le côté « lumineux » des enjeux de santé mentale. « Ce n’est pas que sombre. Le père a aussi des particularités trippantes. Toutes ses excentricités, ses différences : il ne serait pas le même s’il n’avait pas d’enjeux de santé mentale. Ça fait qu’il est beau et que sa fille l’aime. […] Un lecteur m’a dit : « Ça m’a donné le droit d’être le parent que je peux être ». Il faut juste trouver les outils. »
La magie des sous
Chercher et comprendre la source de la tristesse de son parent peut être difficile. « La santé mentale, c’est où ? L’héroïne se doute que c’est dans la tête ou le coeur. Mais c’est abstrait pour l’enfant. En même temps, c’est beau de voir qu’elle trouve des façons concrètes d’aider son père. »
Lorsque l’héroïne a mal au jambes, son père lui colle des sous noirs sur les mollets et sous les pieds, pour qu’ils avalent la douleur. C’est un rituel inspiré de l’enfance de l’autrice, confie-t-elle. L’héroïne a donc l’idée d’utiliser les sous noirs à son tour, pour absorber la tristesse de son père.
Sara raconte qu’avec son histoire, les sous noirs « font fureur » auprès de ses lecteurs. « Ça fait encore plus de magie, d’avoir choisi un objet déjà disparu. Les enfants en cherchent et en demandent à leurs parents. Tout le monde en garde encore un ou deux en quelque part. Il y a aussi une nostalgie pour une autre époque, et ça amène des discussions intéressantes. »
L’écriture jeunesse
Après la poésie de Ghostée, sur la rupture en amitié, écrire pour un public jeunesse s’est révélé un « beau défi » pour Sara. « C’est très différent, surtout pour la trame narrative. Il y avait des enjeux de réalisme. Les enfants ne se trompent pas comme public. Ils voient tout ! » Elle a donc testé ses textes dans une école primaire, à Montréal, pour s’assurer que les enfants comprenaient bien l’histoire.
« Un autre défi, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de mots. Ça demande une concision, pour laisser la place aux images. Et de garder ma plume, aussi ! Je voulais un album qui soit aussi poétique. » L’autrice salue d’ailleurs l’excellent travail de l’illustratrice, Agathe Bray-Bourret. « C’est vraiment formidable ce qu’elle a fait. Elle a deviné mon intention et elle a eu une belle sensibilité pour le texte. »
Sara décrit son expérience avec l’écriture jeunesse comme un « coup de foudre ». Et elle réfléchit déjà à son prochain projet. « Je vais m’y mettre cet automne. J’ai envie de traiter de la transmission générationnelle et de l’embourgeoisement des quartiers, qui changent tout le temps. Mais j’ai plein d’idées ! »