(Photo : Colonelle films )
Le long métrage documentaire Les Jours porte un regard brute et intime sur le cancer du sein.

Les jours pose un regard intime sur le cancer du sein

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

La réalisatrice Geneviève Dulude-De Celles était de passage dans les Laurentides – le 8 octobre à Sainte-Adèle et le 16 octobre à Saint-Jérôme – pour présenter son film Les jours et rencontrer son public. Ce long métrage documentaire porte un regard intime, brute et lumineux sur un sujet encore tabou : le cancer. La protagoniste du film, Marie-Philip, apprend qu’elle a un cancer du sein de stade 3 quelques jours avant son 29e anniversaire. Du diagnostic au dernier traitement de chimiothérapie, le spectateur l’accompagne dans cette épreuve.

« Au début du tournage, je me positionne plus comme une étrangère qui entre dans sa vie. Et à la fin, nous sommes devenues amies, donc j’étais plus impliquée émotionnellement dans ce qu’elle vivait », explique Geneviève au sujet de sa position comme cinéaste. En tant que spectateur, on s’attache aussi, au gré des minutes, à Marie-Philip, à son humour, à son authenticité et à sa famille remplie d’amour.

Les images présentées dans le film ont majoritairement été captées entre octobre 2020 et septembre 2021, en pleine pandémie. La plupart proviennent du cellulaire de Marie-Philip, qui filmait des capsules vidéos pour donner des nouvelles à ses proches, ou d’une caméra amateur que lui avait prêtée la réalisatrice. « Le film, c’est un amalgame de mon regard et du sien », dit Geneviève Dulude-De Celles. On discute avec elle de ce documentaire poignant. 

Au départ, il n’était pas prévu que Marie-Philip filme elle-même ses images. Pouvez-vous m’expliquer comment cette idée a évolué ?

Au début, je visais à avoir une à trois protagonistes que j’allais suivre pendant leurs traitements en faisant des entrevues aux deux ou trois semaines. On a fait un appel de casting, puis j’ai rencontré Marie-Philip en septembre 2020. À ce moment-là, pour tenir au courant ses proches de ce qu’elle vivait et éviter de tout répéter, elle publiait des vidéos sur un groupe Facebook privé. Elle m’a invitée dans ce groupe et j’ai eu accès aux vidéos. Rapidement, j’ai été charmée. Dans une des premières vidéos que j’ai vues, son père lui fait des injections pour son traitement de fertilité. Son père est torse nu et joue au gros monstre pour la faire rire.

Quand Marie-Philip filme une vidéo à ses proches, il y a quelque chose de plus familier, d’intime et d’authentique. J’avais déjà filmé plusieurs entrevues avec elle et les membres de sa famille, avec tout mon appareillage de cinéma. Mais tranquillement, j’ai délaissé mes entrevues. Je trouvais ça plus touchant de la voir se raconter.  

J’ai trouvé que la première scène du film était la plus difficile à regarder. Dans celle-ci, on entend Marie-Philip apprendre qu’elle a un cancer. En voyant ça, je me suis demandée si j’arriverais à regarder ce film. Mais finalement, le documentaire est aussi très lumineux. Est-ce que c’était une préoccupation pour vous, de ne pas seulement aller dans la peur et la souffrance ? 

Justement, quand j’ai rencontré Marie-Philip et qu’elle a accepté de participer, elle m’a dit: « mais je ne veux pas que ce soit larmoyant, triste et lourd ». Le début, c’est une scène très courte : c’est deux minutes, mais c’est difficile à entendre. Pour moi, c’était quand même important d’inclure cette scène, parce que ça fait partie de la réalité. Le pire moment pour Marie-Philip, dans son cheminement, c’était les débuts. C’était d’apprendre qu’elle a un cancer, avec toute l’anxiété et la peur que ça provoque. C’était important de montrer les difficultés, mais ne pas non plus dramatiser la suite ou la rendre trop lourde. Mais c’est venu naturellement parce que Marie-Philip est une personne lumineuse, drôle, bien entourée. On m’a beaucoup dit, à la suite des projections, que c’est un film d’amour. Il y a beaucoup d’amour autour de Marie-Philip. Finalement, c’est plus là-dessus que sur le cancer du sein. 

Le fait que Marie-Philip est aussi jeune, ça ouvre la porte sur plusieurs angles morts du cancer, comme l’impact sur la fertilité, le dating pendant la maladie ou la reconstruction des seins. Est-ce que ces réalités vous ont surprise ? 

C’est drôle parce que le point commun de mes autres films, c’est qu’ils traitent de la jeunesse. Et quand j’ai commencé ce projet-là, je me suis dit que j’allais me tourner vers un autre âge, en ayant en tête des figures de femmes plus âgées que moi. Finalement, j’ai rencontré Marie-Philip. Et pour elle, c’était son moteur : quand elle a eu son diagnostic, tous les groupes vers lesquels elle se tournait et toute la documentation sur le cancer mettaient de l’avant des visages de femmes plus âgées. Elle se sentait encore plus isolée dans sa situation. Elle a décidé de participer au projet pour donner un exemple d’une femme qui a le cancer à un jeune âge.

J’ai été surprise, en effet, par tout ce que ça implique. Je découvrais toutes ces choses-là au même rythme que Marie-Philip. J’avais lu sur le cancer du sein, mais j’ai appris beaucoup plus à travers le film. Par exemple, on sait qu’il existe des perruques. Mais elles sont souvent faites pour des personnes plus âgées. Si tu veux des cheveux qui paraissent plus jeunes, ça doit être fait sur mesure, comme pour Marie-Philip. Et ça coûte plus cher. Son expérience présente des éléments qu’on voit peu sur la réalité des femmes qui ont un cancer à un jeune âge.

Dans votre famille, des personnes ont été affectées par le cancer du sein. Et malgré tout, vous avez beaucoup appris en faisant ce film. Pourquoi croyez-vous qu’on a de la difficulté à parler du cancer ? 

Dans la vie, on préfère ne pas parler de sujets difficiles. On va tous mourir mais oh qu’on ne veut pas parler de la mort. Cancer, c’est un mot qui résonne fort. C’est une maladie très répandue. Tout le monde peut être sujet à ça. C’est confrontant, parce qu’on fait face à notre propre miroir : on ne peut pas se dire « moi ça ne m’arrivera pas ». Parfois, c’est difficile de convaincre les gens de donner une chance au film parce qu’il y a cette peur-là. En même temps, pour avoir vécu de près cette expérience, ça démontre que la montagne est peut-être moins haute qu’on le pense, que ce n’est pas si pire. Ce qui est pire, c’est faire comme si ça n’existait pas, de fermer les yeux et de ne pas en parler. 

Après avoir réalisé ce film, comment vous sentez-vous, personnellement, par rapport au cancer du sein ? 

Je me sens plus outillée. C’est particulier, parce que j’ai appris qu’un membre de ma famille assez proche avait un cancer du sein il y a quelques mois. Je me suis retrouvée dans la position de la personne qui accompagne. Pour moi, le film concrétise beaucoup de choses. Je comprends les étapes, je comprends les enjeux. Je suis pro parlons-en, bien que ça reste toujours difficile. Mais ce que je retiens aussi, c’est que pour Marie-Philip, le plus dommageable c’était quand les gens étaient gênés, qu’ils ne lui parlaient plus parce qu’ils avaient peur d’en parler. Le tabou fait mal. Marie-Philip était déjà assez isolée et d’être isolée davantage, c’est une difficulté de plus.


Le film Les jours est présentement diffusé dans les salles de cinéma. Il sera également disponible en ligne à compter du 27 octobre prochain.

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