Portrait d’un traceur : Pascal Drolet préserve la mémoire et les pistes de son grand-père
« Il y a souvent des articles sur Jackrabbit, ce qui est très bien. C’était l’idole de mon grand-père en plus. Mais il y a un autre grand pionnier qui a fait 100 km de pistes ici. Et c’est mon grand-père Eddy Fortier. » Pascal Drolet me parle avec passion de son grand-père, traceur de Mont-Rolland. La Élan, la Colline, la Sigouin, la Doncaster, la Fortier… Eddy Fortier a sillonné la région pour la relier de sentiers.
Mais aujourd’hui, la plupart des pistes tracées par Fortier ont disparu ou ont été morcelées, par le développement ou des propriétaires qui ont retiré leur droit de passage. « Je trouve que le ski nordique, c’est l’enfant pauvre de Mont-Rolland. Alors qu’avant, c’était la Mecque », déplore Pascal. Il travaille maintenant à sauver ce qui reste du patrimoine de son grand-père, et à préserver sa mémoire.
Sauver
J’ai donné rendez-vous à Pascal dans le parc de la Rivière Doncaster, à Sainte-Adèle. Lui en skis, moi en raquettes, nous cheminons vers le Relais du père Eddy, à côté du P’tit Train du Nord. Pendant qu’on avance sur la Familiale Ouest, il s’arrête. « Regarde bien : il y a un bout d’histoire oublié ici. » Il me montre une vieille balise du sentier Doncaster, à moitié disparue dans le tronc d’un arbre.
Pascal sort de son sac des balises neuves, qu’il installe lui-même dans les sentiers de son grand-père. « Il ne faut pas lâcher, c’est tout fragile. Il faut que le monde les voit, les pistes. » Pascal croit qu’il reste encore deux pistes « sauvables » d’Eddy Fortier : la Élan et la Doncaster. « Les constructions vont bon train dans ce coin-là, malgré tout. Mais la bande de forêt reste riche. Il y a moyen de passer sans déranger le monde. Ils ne nous verraient pas de leur fenêtre. »
Ce qu’il reste sinon, ce sont des « moignons », comme il les appelle : des bouts de sentier déconnectés, qui ont persisté, et qui méritent tout de même d’être préservés, croit Pascal. Mais pour les pérenniser et espérer les reconnecter à un réseau plus large, il faut convaincre les propriétaires où passent les pistes. Pour la Traversée des Laurentides, par exemple, Pascal a fait une vidéo pour les interpeller. « C’est délicat, tu sais. J’ai des bons amis qui sont propriétaires. Donc quand je dis ça, je les attaque un peu. Mais je les aime pareil, et j’espère qu’ils vont m’aimer pareil, eux aussi ! [Rires] »
Le skieur rappelle que son objectif est de sauver le patrimoine de son grand-père, mais aussi le « bien commun » : l’accès à la nature et la pratique du ski nordique, qui font partie de l’ADN des Laurentides, selon lui. « Je ne perds pas espoir. En continuant de les achaler un peu, il y en a qui vont peut-être plier et entendre raison. »
Tracer
On arrive au Relais du père Eddy. Pascal tente d’allumer un feu dans le foyer, mais le petit bois s’éteint. Pascal recommence deux, trois, quatre fois. Sur le mur, il y a un portrait d’Eddy Fortier, avec Non recuso laborem écrit dessous. « Je ne refuse pas le travail. »
Jean-Paul « Eddy » Fortier (1918-1993) était propriétaire de l’Hôtel des Monts, à Mont-Rolland. « Il l’a acheté ça avec ma grand-mère, Cécile Plouffe », raconte Pascal. La Golf, qui est devenue la piste de fatbike la Chasseur, est la première que son grand-père a tracée. « C’était le propriétaire du club de Piedmont. Il jouait avec mon grand-père. Il lui a dit : “Eddy, pourquoi tu ne fais pas une piste de l’Hôtel des Monts jusqu’au club de golf ?” »
De 1972 à 1979, avec l’aide des gens de Mont-Rolland, Eddy Fortier défriche, trace et balise une centaine de kilomètres de sentiers et entretient d’autres pistes qui passent dans le coin. « Il en a ramené beaucoup vers l’hôtel. Pas fou ! À partir de 1975, l’Hôtel des Monts est le quartier général du ski de fond à Mont-Rolland. La Fortier, par exemple, se rendait à l’église de Mont-Rolland, puis à celle de Saint-Hippolyte. »
Pour passer, Fortier doit négocier fort et être persistant. « Mais il négociait avec une personne pour régler 20 km d’un coup. Aujourd’hui, tu fais 300 m et tu es sur le terrain de quelqu’un d’autre. » Toutefois, Fortier finit par se faire une réputation. Bientôt, ce sont les propriétaires qui l’approchent. « L’Alouette, c’est un propriétaire de Sainte-Adèle qui voulait une piste lui aussi. M. Terzi, à Piedmont, lui avait demandé une piste également », raconte Pascal.
Reconnecter
À force de persévérance, Pascal réussit : le feu prend. Je l’aide à entrer quelques bûches dans le relais, qui serviront aux prochains randonneurs. On s’assoit pour discuter.
S’il y a une piste que Pascal aimerait sauver parmi toutes, c’est la Élan. Plus tôt, il m’a montré son tatouage de la Élan, sur sa main gauche. « Je suis mordu pas pire. Je suis un tag vivant ! », avait-il lancé en riant. « La Élan part du mont Durocher et va vers les Cimes. Dans le temps, on pouvait aller jusqu’au lac du Pin Rouge, à Saint-Hippolyte. Ça se fait encore. Je suis prêt à m’incriminer : je l’ai fait 25 fois aller-retour l’année passée ! »
Cependant, le sentier passe sur des terrains privés. Plusieurs propriétaires refusent l’accès aux skieurs. Mais Pascal ne renonce pas. « Parfois on dit que les nouveaux résidents ferment le passage. Mais c’est une vieille famille de Sainte-Adèle, aussi vieille que la mienne, qui bloque une bonne portion actuelle. Peut-être que je peux faire plier leur coeur un peu. Mais peut-être que je me trompe. »
Si la Élan est pérennisée, cela reconnecterait une bonne partie du réseau de Mont-Rolland. « Quand la Élan et la Jabo sont connectées, ça nous amène à la Florentin. De là, tu te rends à la Johannsen, qui arrive au lac Lucerne. On ferait toute notre ville en ski », rêve Pascal.
Se souvenir
Au-delà des pistes elles-mêmes, Pascal travaille fort à garder la mémoire d’Eddy Fortier vivante. Sur le Relais du père Eddy, il a installé des plaques de bois où les visiteurs peuvent lire l’histoire de son grand-père. « J’ai fait ça parce que les gens venaient ici et inventaient des histoires. « Le père Eddy, c’était un père jésuite. » Non, non, non ! », raconte Pascal en riant.
Il est aussi allé plusieurs fois aux séances du conseil de Sainte-Adèle pour demander un panneau patrimonial, pour commémorer la mémoire d’Eddy Fortier et sa contribution à Mont-Rolland. « On a eu un rendez-vous avec la MRC. En ce moment, je suis en discussion. On n’a pas un oui officiel, mais on a une démarche sérieuse », se réjouit Pascal.
Le festival Eddy Fortier, quant à lui, a connu sa dernière édition en 2022. « On l’a fait six saisons. On a fait tout ce qui était à la limite, possible et légal, et même des petits bouts illégaux parce qu’on n’avait pas le choix. Mais une année, j’ai regardé le trajet et je me suis dit : célébrer un pionnier dans “pas ses traces”, je ne suis plus capable. » Une année, un participant avait remarqué que l’itinéraire passait surtout sur des lacs. Piqué au vif, Pascal lui avait expliqué. « On fait le tour des lacs parce que c’est ici qu’on a le droit de passer. La vraie piste de mon grand-père est dans la montagne qui est là. Et là, tu aurais du fun. »
Pour préserver la mémoire des traceurs, Pascal croit que chaque pionnier devrait avoir au moins une piste de sauvée. « Sur 100 km, garder 12 km, il me semble que ce n’est pas trop demander. Quand tu sais que l’histoire est passée chez vous, que ce soit Jackrabbit, Eddy Fortier ou Mike Loken, il y a un devoir de mémoire et de protection. Je suis prêt à militer pour défendre ça. Et s’il y en a qui veulent embarquer, qu’ils nous donnent les clés », plainte Pascal Drolet.
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1 commentaire
Très bon papier. Merci.
Longue vie au ski de fond dans les Laurentides!
De la part d’un ancien résident de Saint-Hippolyte qui a souvent skié sur la Fortier, sur la MOC,…