Prends bien soin d’elle

Par Rédaction

Par Daniel Giguère (collaboration spéciale)

Pour paraphraser Louis-Ferdinand Céline dans l’incipit de son roman Voyage au bout de la nuit, « ça a débuté comme ça ». Un peu brutal comme introduction, mais est-on seulement préparé pour ce genre de nouvelle ? D’autant que dans la famille, la grande faucheuse a plutôt une fixation sur nos poumons. Une mort lente, pas vraiment douloureuse, et qu’on voit venir à bout de souffle, littéralement. On devient soudain copain-copain avec une bonbonne d’oxygène, c’est pour vous dire !

Alors quand mon médecin m’a annoncé que mon taux d’antigène prostatique spécifique (APS) était très élevé, j’ai sourcillé, un brin dubitatif. Il n’y a aucun antécédent familial pour le cancer de la prostate, du moins à ma connaissance. Le cœur, oui. Un peu de diabète, c’est vrai, les poumons, n’en parlons pas, mais la prostate ? Absolument rien. D’autant que je n’avais pas de problème de santé, zéro symptôme. Elle se trompait sûrement de patient.

« Hum… mon nom c’est Daniel Giguère. Ça s’écrit… »

« C’est bien votre dossier, monsieur Giguère. »

En plus, ils sont têtus (heureusement pour nous !).

Et voilà que j’en étais quitte pour passer une série de tests. D’autres prises de sang, deux résonances magnétiques, une biopsie et un scanner en médecine nucléaire (claustrophobe s’abstenir ! J’en frissonne encore) sur une bien trop longue période, j’avoue.

La totale, quoi.

Tout ça à cause d’une banale prise de sang. J’aurais pu, c’est vrai, m’en tenir au test habituel, une expérience tactile pas vraiment excitante du genre : on baisse le pantalon, on se penche par en avant et on écarte un peu les jambes (pour les fesses, c’est le médecin qui s’en occupe).

« C’est que… j’ai les intestins fragiles, docteur, alors… C’est pas grave ? Vous en avez vu d’autres ? Ah bon… Merci pour la boîte de Kleenex, c’est apprécié. »

Je blague. L’expérience tactile (le fameux toucher rectal) est la norme, mais on m’avait aussi proposé, en supplément, le test de dépistage par prise de sang. J’avais dit oui, convaincu que j’allais passer haut la main. J’ai plutôt recalé, ma note étant particulièrement mauvaise. Et au bout du compte, le verdict est tombé. L’ombre du grand méchant loup, celui dont on ne veut pas prononcer le nom (pas Voldemort, mais bien cancer), s’est finalement immiscée dans ma vie.

Notre monde ne s’écroule pas. Arrêtons les métaphores apocalyptiques. On est juste un peu sonné. Des questions nous viennent à l’esprit, en ordre, mais surtout dans le désordre. Les médecins y répondent avec beaucoup de précisions et de nuances. Professionnels, je vous l’assure. Mais il y a toujours ce petit hamster qui s’agite dans sa roulette, surtout la nuit. Si en plus il a un TOC, je ne vous dis pas.

Alors, fatalement, dans le doux confort de notre foyer, deux ou trois jours après le verdict, on fait ce qu’il ne faudrait JAMAIS faire. On va googler. Cote Gleason, niveau 8.

Et voilà qu’on tombe directement sur la page d’accueil d’Urgel Bourgie.

Je blague encore. Mais dieu que les réponses sont déprimantes. Surtout quand ensuite on nous dévoile le plan de match. L’hormonothérapie d’abord, puis la radiothérapie pour finir. Ça va bien aller, comme on dit.

L’hormonothérapie tiens ! Un médicament et une injection chaque trois mois. Ça vous réduit la testostérone et les envies. D’autres effets secondaires possibles ? Paraît qu’on se met à pleurer pour rien et qu’on tripe sur les films de filles. L’horreur !

Rien de tout cela pour l’instant. Faut dire que j’ai été particulièrement choyé cet été. L’hommage à Champlain Charest et Jean-Paul Riopelle. Deux hommes exceptionnels au parcours hors norme. Une plongée dans le monde des arts, des oies blanches, mais surtout l’occasion de découvrir qu’ils avaient, tout comme moi, une passion pour le fleuve Saint-Laurent. Là où il se fait mer.

On m’a annoncé mon cancer au moment où je commençais l’écriture des textes du cahier spécial. Hors de question d’arrêter. C’était plutôt une excellente raison de continuer. J’ai aussi proposé mes services pour le logo et pour faire une esquisse de la future affiche. Des talents multiples, le gars. On m’a déjà qualifié de surdoué. Sans doute vrai, mais j’ai la modestie sincère et je n’aime pas trop les projecteurs. Surtout quand l’embonpoint fait de l’ombre à mes souliers.

J’ai quand même demandé à la patronne ici si je pouvais prendre la parole pour m’adresser aux hommes de ma génération quant à l’importance du dépistage précoce du cancer de la prostate. L’expérience tactile, c’est un incontournable, mais dans certains cas, dans le mien en tout cas, ça n’avait rien révélé. Le test sanguin est un indicateur à prendre avec beaucoup de prudence, votre médecin insistera là-dessus. C’est totalement vrai, mais si le premier drapeau jaune envoie un signal qu’il y a peut-être quelque chose qui ne tourne pas rond, et qu’effectivement c’est le cas, vous me remercierez. L’importance, à partir de la cinquantaine, c’est de prendre soin d’elle, la ratoureuse.

Bon… je vous laisse. Y a un spécial sur les papiers-mouchoirs à la pharmacie du coin. Et puis ce soir c’est Ghost, avec Patrick Swayze et Demi Moore.

Oh, oh my love
Oh my darling
Ive hungered for your touch
A long and lonely time

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