Julie Caouette conduit la dameuse qui entretient la piste du P'tit Train du Nord l'hiver. Photo : Simon Cordeau

Tracer le P’tit Train du Nord dans la nuit

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

J’ai rendez-vous près de la gare de Val-David, en ce soir de janvier. Une lourde neige tombe et il fait un peu froid. Tout le quartier semble s’être donné rendez-vous autour de la patinoire, pour voir des jeunes hockeyeurs s’affronter. Sur le P’tit Train du Nord, la neige est molle et inégale. Y marcher demande un effort et on voit plusieurs traces de pas enfoncées. La piste est due pour un bon damage.

Ça tombe bien : je viens rejoindre Julie Caouette et sa dameuse, qui parcourront ce soir le P’tit Train du Nord de la gare de Prévost (km 14) au parc Préfontaine de Sainte-Agathe-des-Monts (km 46). Plus au sud, le Parc linéaire a un projet pilote cet hiver avec une dameuse 100 % électrique. Plus au nord, le P’tit Train du Nord devient un sentier de motoneige.

Damer ces 32 km prend autour de 6 h à Julie, estime-t-elle. Mais aujourd’hui, je l’accompagnerai seulement jusqu’à Sainte-Agathe avant de revenir à Val-David.

Démarrer

Avant de partir, on doit attendre quelques minutes, pour que la dameuse se réchauffe un peu. Mais rapidement, on sera bien au chaud à l’intérieur, m’assure Julie. « Parfois je me retrouve en t-shirt et en sueur à la fin de mon shift. J’essaie de régler le chauffage pas trop fort », me dit-elle en riant.

On traverse le village de Val-David jusqu’à la route 117 pour gazer. Sur la route, nous sommes larges et lents. Les automobilistes doivent se tasser pour nous laisser passer, ou attendre derrière nous. La dameuse va à une vitesse maximale de 26 km/h. Mais pour être sûre de bien aplatir la neige et tracer les pistes de ski de fond, Julie va beaucoup plus lentement.

À la station-service, remplir le large réservoir prend de longues minutes. Puis, Julie vérifie que tout est en ordre, s’installe dans le siège conducteur et ouvre sa fenêtre. « Il fait déjà chaud ! » On part.

De retour sur P’tit Train du Nord, on monte vers Sainte-Agathe. On commence par le tapis, ou le resurfaçage, pour aplatir la neige. Au retour, on fera le traçage, c’est-à-dire les sillons pour les deux pistes de ski de fond.

Se vider la tête

Avant notre passage, la piste est molle et irrégulière. Photo : Simon Cordeau

C’est le deuxième hiver que Julie dame le P’tit Train du Nord. Ç’a l’aide à se vider la tête après son emploi principal : éducatrice spécialisée dans une classe TSA (trouble du spectre de l’autisme) au secondaire. Je vois comment être seul à conduire la dameuse, entre les arbres et sur la piste enneigée, peut vite devenir méditatif et relaxant.

C’est pourquoi Julie écoute souvent de la musique. « Sinon c’est endormant ! » Avant, elle aimait bien écouter du métal ou le balado Mike Ward sous écoute. « J’aime aussi des mix style « Good morning » ou « Happy ». Ça met de la joie dans mon coeur. » Mais depuis, elle a découvert le country. « J’écoutais la radio dans la dameuse, et il y avait une toune que j’aimais beaucoup. Après l’avoir écoutée sur Spotify, l’application me recommande plein de country et de country-rock. » Il faut dire que le style se prête bien à notre balade dans la forêt enneigée.

Le damage doit être fait le soir ou la nuit, lorsqu’il n’y a plus personne ou presque sur la piste. Julie doit tout de même rester vigilante. « J’ai croisé du monde en ski jusqu’à minuit. » Quelques skieurs nous enverront la main, après s’être tassés sur le côté. « Merci ! », lance une skieuse. « Ça, c’est la partie l’fun », m’indique Julie.

Julie doit aussi surveiller la queue de la dameuse, qui aplatit et trace la neige, pour s’assurer qu’elle est stable et le damage, droit. À son premier hiver, elle avait encore quelques difficultés avec les contrôles de l’engin. Il lui ait même arrivé d’accrocher quelques clôtures qui ont dû être réparées au printemps, avoue-t-elle. Mais maintenant, elle parvient à rester bien droite dans le sentier.

Jouer dehors

Après avoir aplati la neige, la dameuse repasse pour tracer les sillons pour les skieurs. Photo : Simon Cordeau

Une fois à Sainte-Agathe, une barrière empêche les motoneiges de continuer plus au sud sur le P’tit Train du Nord. Mais elle entrave aussi notre chemin ! Julie doit faire demi-tour en avançant et en reculant à plusieurs reprises : une manoeuvre assez technique et délicate, avec le peu d’espace qu’on a. Une fois la dameuse retournée, Julie recule un peu et, avec la queue, aplanit la neige de nouveau pour effacer ses traces.

Devant nous, la piste est maintenant plate, lisse, uniforme. Derrière nous, Julie abaisse les deux griffes qui tracent les sillons pour le ski de fond. Là encore, elle doit rester attentive pour que les sillons soient droits. On va plus lentement aussi, pour nous assurer que les sillons soient bien creusés.

Julie est elle-même une skieuse. Elle s’applique donc davantage. « J’aime bien faire un test de qualité le lendemain », me lance-t-elle en riant. Originaire de l’Abitibi, elle a adopté les Laurentides et trouve que le P’tit Train du Nord est un joyau pour la région. « C’est l’fun que ce soit gratuit. Et ça permet aux enfants de prendre l’air et de jouer dehors. »

Ouvrir l’oeil

Pour certains segments qui sont longs et droits, cependant, Julie n’a aucune manoeuvre à faire. « Ça peut être endormant. S’il y a un café qui apparaît sur l’écran, je dois me dépêcher à faire quelque chose. Sinon, la machine s’arrête », explique la conductrice.

Autre raison de rester attentive : il lui arrive de croiser des chevreuils. « J’en vois tout le temps ! » Même si la dameuse fait beaucoup de bruit, les chevreuils semblent hypnotisés par ses lumières, croit Julie. « Parfois, ils figent. »

Damer le P’tit Train du Nord de Prévost à Sainte-Agathe prend environ 6 heures. Photo : Simon Cordeau

Un soir, elle voyait au loin comme des lueurs qui bougeaient. Elle croit d’abord que ce sont des adolescents qui dansent sur la piste, en pleine nuit, en tenant des lumières. « Qu’est-ce qu’ils font là ? », se demande-t-elle, abasourdie. Mais en s’approchant, elle réalise son erreur. « C’était une douzaine de chevreuils ! » La lumière de la dameuse se reflétait dans leurs yeux.

Entretenir

Selon la neige qui tombe, la piste doit être damée de trois à six fois par semaine. « L’année passée, il fallait passer deux fois par jour à certains moments », se souvient Julie. En plus de son emploi régulier, elle trouve parfois cet horaire exigeant, mais elle le voit comme « un coup à donner ». « En avril maximum, c’est fini. »

L’année passée, avec l’argent de plus qu’elle a gagné grâce à ce deuxième emploi, elle s’est payé un voyage aux États-Unis. « Je suis allée au Texas, pour chanter du country ! »

Nous sommes de retour à Val-David. Je débarque, alors que Julie continue son chemin vers Prévost. J’admire le tapis de neige bien plat et tassé, avec des sillons pour les skieurs, qu’elle laisse derrière elle.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *