« Pas de curé Labelle sans A.-N. Morin » – Partie 2
En 1830, Augustin-Norbert Morin est élu député sous la bannière du Parti patriote. Il a 27 ans. Dans les prochaines années, il jouera un rôle clé dans la crise politique à venir et qui culminera avec la rébellion des Patriotes.
À peine élu, le député de Bellechasse est déjà membre de sept comités. Tant le Parti patriote que son chef, Louis-Joseph Papineau, voient en lui beaucoup de potentiel.
Morin, le modéré
Déjà, Morin s’intéresse à la concession des terres. Les seigneuries sont surpeuplées, alors que la spéculation et le système seigneurial rendent les nouvelles concessions rares et chères. Toutefois, ses premiers efforts de réforme sont voués à l’échec : il faudra attendre encore quelques années avant la colonisation des Laurentides.
Morin s’intéresse aussi à l’administration de la justice, pratiquement inaccessible à l’extérieur de Montréal et de Québec. Surtout, il s’oppose à l’ingérence de Londres dans les affaires de l’Assemblée législative, dont il fait partie, et défend avec fougue les revendications de ses électeurs.
Dans tous les débats, il est cependant modéré, privilégiant la réforme des institutions. C’est le cas pour le Conseil législatif (équivalent du Sénat), qui s’oppose systématiquement aux décisions de l’Assemblée. L’Assemblée est élue par la population, et ce sont les intérêts de cette dernière qu’elle défend. Toutefois, le Conseil législatif est nommé, et défend plutôt les intérêts de la Couronne britannique. Alors que plusieurs députés patriotes souhaitent abolir le Conseil législatif, Morin propose plutôt de le rendre électif, afin de le rendre imputable à la population.
« Comment peut-on trouver dans le présent état des choses la moindre analogie avec la constitution vantée d’Angleterre quand un corps de douze, nommés par une puissance, forme une branche coordonnée avec la puissance qui les nomme tandis que nous seuls nous formons la branche populaire? », demande Morin. Il parvient à convaincre ses collègues, et sa position devient celle du parti.
Morin, épuisé
Malgré ses positions modérées, Morin se fait rapidement des ennemis, tant parmi ses adversaires politiques que parmi ses collègues patriotes. Ses derniers craignent le talent et l’ambition du jeune député. Dans les journaux partisans de l’époque, on tente de le discréditer, mais sans succès.
Cela dit, son travail acharné dans plusieurs comités, en plus de ses engagements comme journaliste et avocat, finissent par épuiser Morin. En octobre 1833, il doit prendre un repos forcé. Il démissionne même le 18 décembre, face à de nouvelles attaques dans les journaux.
Mais les électeurs de Bellechasse ne sont pas convaincus par les insinuations et les « scandales » qu’on publie. Au contraire, ils réélisent Morin le 25 janvier 1834. Revigoré par cet appui, Morin revient à la charge. « Dévoué de cœur et d’intérêts à la cause canadienne, j’y ai depuis longtemps voué pour ainsi dire toute mon existence. Je continuerai jusqu’à ce que le pays ait appris s’il jouira librement des institutions qui lui sont chères et des droits les plus essentiels des sujets anglais, ou si nous sommes des esclaves à la merci d’un décret ministériel », écrit-il dans la lettre de remerciement adressée à ses électeurs.
Morin, délégué à Londres
À son retour, Morin devient le numéro deux du Parti patriote. Avec Louis-Joseph Papineau, Elzéar Bédard et Louis Bourdages, il dresse alors la liste des griefs de l’Assemblée. C’est d’ailleurs Morin lui-même qui rédige le document, qui deviendra les Quatre-vingt-douze Résolutions.
En plus de demander l’élection du Conseil législatif, on y dénonce les agissements de certains de ses membres et du Conseil exécutif (l’équivalent du conseil des ministres), on demande la fin de la ségrégation raciale dont les Canadiens sont victimes, et on désire des pouvoirs équivalents au Parlement britannique, entre autres.
Les résolutions sont adoptées à 56 voix contre 23, et Augustin-Norbert Morin est mandaté pour aller les présenter à Londres.
Toutefois, l’Assemblée n’a pas le pouvoir de financer le voyage de Morin, et Morin lui-même n’a pas les moyens de payer le coûteux voyage. Ce sont donc des collègues députés et des citoyens qui couvrent les frais de sa traversée de l’Atlantique.
À Londres, le Parlement britannique accepte bien d’entendre les résolutions… mais elles sont toutes rejetées, en bloc. Face à l’impasse, Morin se radicalise peu à peu. Le Parti patriote aussi. La rébellion semble inévitable.