Cannes 2010: des goûts et des douleurs

Par jacqueline-brodie

Ciel d’azur. Le soleil a brillé égayant la finale de ce 63e Festival sans grand éclat. Autour du Palais, dispersées les foules, disparues les barricades séparant le bon peuple des stars paradant sur le tapis rouge. À quelques encablures du Palais, les bateaux des milliardaires voguant dans le sillage des célébrités ont levé l’ancre. Les paparazzis ont quitté les lieux et la Croisette affiche la tristesse des lendemains de fête. Les affaires? Médiocres, se lamentent les commerçants cannois. Pourtant les bénéfices générés par les cent mille touristes drainés par le Festival du film sont loin d’être négligeables: 200 à 250 millions d’euros et 3000 emplois pour la ville de Cannes. Chopard, le joaillier partenaire officiel du Festival qui pare les actrices pour la montée des marches réalise 15% de son chiffre d’affaires pendant les 12 jours que dure la manifestation. Où? Là où niche la clientèle huppée: dans les suites des palaces, dans les salons des yachts comme le Lady Moura, propriété d’un homme d’affaires saoudien qui arbore modestement en poupe son écusson et son nom gravé dans de l’or 24 carats.
 

Palme d’or

Classé nanar # 1 parmi les 5 plus mauvais films de la sélection par les critiques du quotidien Le Figaro, porté au pinacle du 7e art avant sa consécration par 2 autres journaux français tout aussi prestigieux, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, est l’heureux lauréat de la Palme d’Or de ce 63e Festival. Œuvre étrange, elle nous conduit – lentement – à la rencontre des défunts de l’oncle mourant, dans une expédition dangereusement hypnotique; fantasmagorie d’une extrême beauté visuelle, magie des sons d’une jungle tropicale peuplée de créatures surnaturelles. Fascinante au départ, l’expédition finit par produire un dangereux effet soporifique sur le spectateur. Unique: l’extraordinaire séquence du lac où un poisson-chat s’affaire à féconder (?) une princesse flottante.

Histoires d’amour
Ô combien mérité ce Grand Prix attribué à Des hommes et des dieux du Français Xavier Beauvois. Œuvre sur la foi, le courage et la fraternité face à la barbarie et au fanatisme, elle s’inspire librement de la vie des Moines Cisterciens dans une région éloignée de l’Algérie et de leur enlèvement par un groupe armé en 1996. Dans un style dépouillé, le cinéaste a magnifiquement réussi, avec des acteurs prodigieux de vérité dont Lambert Wilson et Michael Lonsdale, à nous hisser bien au delà de la médiocrité quotidienne. Bouleversante immersion dans la re-création d’un univers de générosité ou le don de soi est total. Tournée, Prix de la mise en scène attribué au réalisateur-acteur français Mathieu Amalric, l’un des favoris d’une partie de la critique, se devait de figurer au Palmarès. Dans ce film inspiré, nous suivons un piètre héros qui promène sa troupe de New Burlesque au rythme des ratés à répétition de sa problématique vie. Générosité là aussi et fabuleuse performance d’acteur de Mathieu Amalric. Un homme qui crie, Prix du Jury, du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, salue le retour de l’Afrique en compétition après une absence d’une douzaine d’années. Avec lui, c’est son pays à feu et à sang qui crie et son film, tout de compassion, met en scène l’impossible choix auquel sont confrontés les hommes dans un monde qui nie leur existence.

Prix du scénario, Poetry, le film du Coréen Lee Chang-dong, fut l’une des œuvres les plus exquises de la compétition. Porté entièrement par l’actrice Yun Junghee (330 films, 24 prix d’interprétation féminine), le film explore avec une rare sensibilité un conflit générationnel. Un hymne à la beauté, à l’art et à l’amour. Biutiful, La nostra vita, deux films, un même thème, survivre. L’un se déroule en Espagne, l’autre en Italie. Deux pères de famille monoparentale luttent pour élever leurs enfants sur fond de ghetto, de trafic d’humains et de travail au noir. Exceptionnellement, le Jury a couronné les deux interprètes des deux films. Prix d’interprétation masculine ex-equo donc pour Javier Bardem dans Biutiful et Elio Germano dans La nostra vita. De Juliette Binoche, la magnifique, Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Copie conforme, jeu sur l’ambiguité de la notion de couple de L’Iranien Abbas Kiarostami, rien à ajouter qui n’ait été dit. Radiante, elle est Le film.

Une certaine

déception

Si le Prix Un Certain Regard a échappé à Xavier Dolan, un jury de jeunes passionnés de cinéma a décerné à notre enfant chéri le Prix Regards Jeunes pour Les amours imaginaires qui concourait dans cette section. L’an prochain en compétition, peut-être?

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *