CINÉMA – Cette difficile réalité d’être parent
Breaking and Entering
Quand mon fils était poupon, j’en étais un peu gaga, je dois l’avouer. Un de mes collègues m’avait alors malicieusement glissé le commentaire suivant: «Attends qu’il soit un ado. Cet inconditionnel amour sera alors tout relatif…» Ah ces cyniques journalistes! Aujourd’hui, je dois reconnaître qu’il y avait une touche visionnaire à ce commentaire.
Breaking and Entering, de Anthony Mighella, aborde justement cette réalité. Le fait d’être parent entraîne des responsabilités et du stress, qui affecte invariablement votre capacité de faire votre chemin dans la vie. Le film l’illustre avec brio.
On découvre initialement deux architectes associés dans la revitalisation de tout un quartier pauvre de Londres. Un projet gigantesque. Le duo, Will (Jude Law) et Sandy (Martin Freeman), choisit même d’emménager leurs bureaux dans ce quartier fréquenté par des prostituées et des immigrants à statut précaire, King’s Cross. Ils transforment ainsi un vieil entrepôt en bureau branché, bourré des derniers ordis Macintosh à la mode.
Les fameux ordis et autres gadgets technos finiront par être chipés par un réseau de voleurs Serbes bien organisés. Qui fait appel à un jeune réfugié Bosniaque de 15 ans, adepte du parkour, ce fascinant sport dont les athlètes escaladent des immeubles ou sautent sur les toits et transforment le mobilier urbain en piste d’hébertisme. Le jeune homme, décrocheur, entretient pourtant une relation pleine d’amour et de respect avec sa mère (Juliette Binoche), une réfugiée bosniaque dont le mari Serbe fut tué à Sarajevo, durant la guerre civile.
Puisque son local est dévalisé plusieurs fois, Will se décide à le surveiller toutes les nuits pour mettre lui-même la main au collet du voleur. Cette vigile tombe mal. Car sa femme (Robin Wright Penn) en arrache de plus en plus avec sa fille, une jeune ado légèrement atteinte d’autisme, issue d’une autre union.
Cette situation éloigne de plus en plus les deux jeunes parents. Will est obnubilé par son chantier et ses cambrioleurs. Sa femme s’est repliée sur sa relation avec sa fille. Une certaine vacuité caractérise leur relation et affecte grandement leur amour.
Le hasard finit par mettre la femme du jeune voleur sur le chemin de Will. Ce dernier est fasciné par le destin et cette authenticité qui émane de cette réfugiée, qui fait de son mieux pour survivre et élever un fils en pleine crise d’adolescence. Crise exacerbée par un père absent et un oncle Serbe qui constitue une mauvaise influence.
Le vol est rapidement relégué au second plan, alors que le film surfe allègrement sur les différences entre ces jeunes professionnels gâtés par la vie et cette mère et son fils en situation de survie permanente. Qu’est-ce qu’un vol d’ordi lorsque l’on découvre le fossé de richesse entre les principaux personnages? En parallèle, les principaux protagonistes du film doivent se débattre avec leurs problèmes personnels, amoureux et existentiels.
Le réalisateur du «Patient Anglais» réussit assez adroitement à ne pas tomber dans le pathos ou le cliché, malgré un dénouement quelque peu tiré par les cheveux. Mais bon, c’est du cinéma et on y croit, ce qui est à l’avantage de Mighella.
Le cinéaste propose ainsi une œuvre personnelle, qui aborde le thème des classes sociales à une époque où l’on a l’impression que les pauvres s’appauvrissent toujours plus, alors que l’ensemble des richesses est de plus en plus le fait d’une poignée de privilégiés. Le cinéaste insiste sur les effets de ce clivage sur la vie personnelle des gens, mais sans tomber dans le prêchi-prêcha.
Les comédiens se démarquent par des prestations souvent magnifiques. À souligner celle de Branka Katic, qui incarne une prostituée plutôt originale, ainsi que la bande sonore, signée par Gabriel Yared (37°2 le matin) et par le groupe Underworld.