(Photo : Julien Faugère)

Écrivain innu, chef d’antenne et journaliste : Entrevue avec Michel Jean

Par France Poirier

Journaliste et chef d’antenne à TVA depuis une trentaine d’années, Michel Jean a aussi écrit plus d’une dizaine de romans. Il assume ses origines innues depuis une dizaine d’années et écrit sur la communauté autochtone.

Qu’est-ce qui vous identifie le plus : journaliste et chef d’antenne ou écrivain ?

Tout ça, ce sont des métiers qui me prennent beaucoup de temps. Ça fait partie de moi.

Vous faites partie du paysage médiatique depuis plus de 30 ans. Pourtant, vous ne parliez pas de vos origines innues avant. Pourquoi ?

Ça m’a valu des mauvaises blagues. Plutôt que de me faire agacer ou ridiculiser, je préférais ne pas en parler. Comme j’ai le teint pâle et les yeux verts, je passais pour un blanc. On appelle ça avoir la « white pass ». Ça fait une dizaine d’années que j’assume mes origines.

Qu’est-ce qui vous a décidé d’en parler ?

Deux choses. Premièrement, le décès de ma grand-mère. Je pensais avoir perdu le lien avec la communauté et je voulais rétablir ce lien. Puis, la cousine de ma grand-mère est venue me parler. Elle me connaissait de la télévision. Elle m’a dit: « Toi Michel, l’indien tu l’as en toi. » Je me demandais qu’est-ce qu’elle voulait dire. Elle m’a répondu : « Dans ton métier, les gens autour de toi sont énervés et toi tu restes toujours calme. Ça vient de l’indien. » Je pensais que c’était un trait de caractère, mais pour elle c’est un trait culturel.

La deuxième chose, c’était une photo que quelqu’un m’a partagée qui venait de l’école à Betsiamites. La bibliothécaire avait pris mes livres et les avait mis dans un armoire et avait inscrit « auteur innu ». Il n’y avait pas ou peu d’auteurs autochtones et elle voulait démontrer que c’était possible. C’est là que j’ai décidé d’arrêter de me préoccuper de ce que les gens pensaient, de faire ce que j’avais à faire et d’utiliser ma visibilité.

De quelle communauté innue êtes-vous issu ? 

De la communauté Mashteuiatsh au Saguenay-Lac Saint-Jean. Je n’ai jamais vécu sur la réserve. On a vécu à Alma. Ma mère est autochtone et mon père est blanc. 

Avec Kukum et Atuk vous mettez de l’avant votre arrière-grand-mère et votre grand-mère. Qu’est-ce qu’elles vous ont inspiré ?

Ma grand-mère (Atuk) et mon arrière-grand-mère (Kukum), ce sont des personnes importantes. Mon arrière-grand-mère est un personnage mythique. Ça a toujours été quelqu’un qui m’a impressionné. Ma grand-mère représentait ce qu’était la culture autochtone, même si elle n’en parlait pas beaucoup. Toutes deux incarnaient l’identité autochtone.

Votre roman Tiohta:ke parle de l’itinérance. Quel message doit-on retenir de ce récit ?

Avec le roman Tiohta:ke j’ai voulu démontré que, souvent, on voit des itinérants autochtones et c’est normal. On représente 2 % de la population au Québec, mais 13 % des itinérants à Montréal sont des autochtones. Quand on voit l’itinérance, c’est le résultat d’événements qui ont eu lieu auparavant et qu’on ne comprend pas. Dans Kukum, j’ai montré comment les autochtones ont été forcés de quitter le territoire où ils habitaient, puis forcés de vivre dans des réserves. On voit aussi quand ils venaient chercher les enfants pour les amener dans les pensionnats autochtones.

Dans Le vent parle encore, on suit les enfants au pensionnat et comprend les conséquences pour les enfants pensionnaires. Dans Tiohta:ke, mon personnage est trop jeune pour avoir vécu dans les pensionnats. Mais ses parents sont d’anciens pensionnaires. Ils sont brisés et ont des enfants qui ont subi les conséquences des pensionnats, même s’ils n’existent plus. Le personnage se retrouve à Montréal en situation d’itinérance. Il y découvre toute une communauté qui s’entraide et c’est au fil de ses rencontres qu’il va se reconstruire. Je voulais montrer comment la lumière peut exister. Que tout n’est pas toujours mal. C’est un roman sur la génération d’après les pensionnats autochtones.

Lorsque vous écrivez une histoire, c’est important de vous rendre sur place pour vous imprégner des lieux ?

Pas toujours non. Je suis capable d’imaginer et je fais des recherches. Mais pour Tiohta:ke, je me suis rendu au Square Cabot où se retrouvent les itinérants autochtones. Je suis allé à leur rencontre.

Comment réussissez-vous à mettre de l’avant des situations difficiles avec beaucoup d’humanité et d’espoir ?

Souvent, on a tendance à voir que le laid et moi, je suis plutôt de nature optimiste. Quand les gens regardent une situation, j’ai tendance à vouloir croire qu’il y a de l’espoir. Je vois le bon côté des choses et l’humanité, ça reste toujours. Par exemple, dans le livre, je dis souvent qu’ils ont voulu nous faire disparaître, mais le fleuve est encore là, les montagnes aussi. Même s’ils pensent qu’on est plus là, le territoire est encore là et nous aussi. Quelque part, je trouve ça rassurant.

Qu’est-ce que les gens de la communauté vous disent ? Est-ce qu’ils sont fiers des livres que vous écrivez ? 

Les gens sont contents de voir que leur histoire est racontée à la TV. Ils sont contents de voir qu’on parle d’eux. Quand tu es autochtone, tu ne te vois pas souvent. Ça leur fait plaisir. J’aborde des sujets difficiles et qui sont challengeants, mais je veux démontrer qu’il y a de l’humanité à travers ça. Je n’essaie jamais de peindre les gens; c’est jamais les bons indiens et les mauvais blancs. J’expose des situations et je laisse les gens se faire leur propre idée. Je trouve ça plus efficace comme ça.

Parce que si on les blâme, les gens vont se braquer. Il n’y a pas de discussions possibles. Quand tu expliques des choses, tu peux aborder des sujets plus difficiles et tenir une conversation. Moi, je le fais à travers un roman parce qu’on peut juste exposer les choses et les gens comprennent à travers ça. 

Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Mon dernier roman Qimmik qui est apparu cet automne. Il y a aussi un projet de film avec Anik Jean et Patrick Huard. Je travaille actuellement sur le scénario. Je travaille aussi sur mon prochain roman. J’y pense, mais ce n’est pas encore très avancé. On a déjà vendu les droits pour deux de mes romans et il y a un projet de série télé pour Tiohta:ke. Mon voeu à moi, ce n’est pas de faire des films. J’écris des romans, mais pour le projet avec Anik Jean, j’avais le goût d’écrire le scénario.

1 commentaire

  1. Je viens de terminer la lecture de l’étonnant livre de Michel Jean intitulé « Qimmik » et j’ai tellement appris sur la façon de vivre des Inuit et sur leurs formidables chiens que les gouvernements du Canada et du Québec ont presqu’entièrement et cruelleement exterminés à une époque pas si lointaine. J’ai compris le désespoir créé par cette tuerie, ces chiens qui faisaient vraiment partie de leur famille et qui étaient pour eux de fidèles compagnons et protecteurs. Dépêchez-vous de lire ce récit/roman basé sur des faits véridiques, vous ne verrez plus jamais les autochtones de la même façon. Je remercie du fond du coeur Michel Jean de s’être lancé dans cette aventure qu’est l’écriture. J’ai lu tous ses écrits qui m’ont fait découvrir l’immense sagesse des peuples autochtones (Innu, Inuit, etc) qu’on ne nous a pas enseigné dans les livres d’histoire.

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