L’air du temps
Festival de Cannes 2008
«Il faudra que le réalisateur ou la réalisatrice de ce film se soit révélé très conscient du monde qui l’entoure» déclarait Sean Penn Président du jury à l’ouverture du Festival quand on lui demandait ce qui guiderait son choix dans l’attribution de la Palme d’Or.
C’est un président du jury hors du commun que s’est offert cette année le Festival de Cannes. Anticonformiste, anti-républicain, ses prises de position politique sont pu-bliques, ses critiques du Président Bush virulentes. En entrevue, il déclarait: «….Les plus grands ennemis de l’Amérique, ce sont ses habitants» et… «nos dirigeants ne sont qu’une bande de menteurs et de criminels». Aussi ne faut-il pas s’étonner que Sean Penn, acteur (21 Grams, All the King’s Men) et cinéaste américain engagé soit considéré dans son pays comme un «bad boy». Lauréat du Prix d’interprétation à Cannes en 1997 pour son rôle dans She’s so lovely, de Nick Cassavetes, oscarisé meilleur acteur dans Mystic River de Clint Eastwood en 2004, il a réalisé entre autre The Indian Runner et en 2007, Into the Wild. Star contestant le système hollywoodien, c’est en tant que cinéaste indépendant qu’il se situe.
«Il incarne un certain visage de l’Amérique qu’on aime», confiait à Cannes Thierry Frémaux, Délégué général du Festival. Ce rebelle, célèbre aussi pour sa campagne contre la guerre en Irak, une constante de la politique française, réunissait tous les critères pour être l’élu, le dispensateur de ces récompenses qui peuvent – parfois – changer la vie d’une œuvre et de son auteur. Vingt-deux longs métrages plus tard, le Palmarès livré par le jury illustre parfaitement l’orientation de la forte personnalité qui le présidait. La «conscience du monde qui l’entoure» est véritablement le tissu dans lequel est taillé chacun des films primés.
La Palme d’Or
Sur fond de grève – (dans la vraie vie) – des enseignants français, Entre les murs du réalisateur Laurent Cantin, docu-fiction admis in extremis dans la compétition, est une œuvre miroir d’une réalité à laquelle l’école d’aujourd’hui doit s’adapter. Tourné à Paris, le film suit le cours d’une année scolaire dans une classe de quartier difficile. Les étudiants sont les acteurs et François Begaudeau, ancien enseignant et auteur du livre dont le réalisateur s’est inspiré joue son propre rôle, celui du professeur de Français. Avec rigueur et humanisme les auteurs nous présentent l’image d’une nouvelle société composée d’enfants d’immigrants. Comment établir le dialogue avec ces jeunes, leur faire comprendre et aimer des valeurs qui leur sont étrangères? Tout le défi de l’intégration est contenu dans ce film. Toutes nos sociétés sont concernées. Qu’il soit gagnant de la Palme d’Or est dans l’ordre des choses. Précisons que cette fameuse palme tant convoitée échappait depuis 21 ans à sa terre natale. C’est en 1987, sous les huées, que le dernier film français Sous de soleil de Satan de Maurice Pialat l’avait remportée. Le réalisateur, blessé, avait répondu par cette historique déclaration sur la scène du Palais de Festivals: «Vous ne m’aimez pas, moi non plus!» et, ajoutant à ces mots un provoquant bras d’honneur illustrant ses états d’âme, quitta les lieux dans le chahut total.
Cannes en vrac
Retour en force du cinéma italien. Récom-pensé pour le plus grand bonheur des festivaliers Il Divo de Paolo Sorrentino présente un portrait féroce d’un personnage redoutable et énigmatique au centre depuis 40 ans, de la politique italienne de droite: Giulio Andreotti. Brillamment mis en scène, évoquant parfois le grand guignol, truffé de répliques à l’emporte-pièce telle: «Le pouvoir n’use que ceux qui ne l’ont pas…». il a bien mérité son Prix du Jury. Tout aussi collé au quotidien de la politique italienne , le docu-fiction Gomorra de Matteo Garrone, lauréat du Grand Prix, est une implacable dénonciation de la main-mise de la mafia sur la ville de Naples rongée par le crime. Œuvre d’autant plus saisissante que la télévision nous transmettait des images de Naples croulant sous les immondices et qu’on pouvait lire en manchette: «Monsieur Berlusconi nomme un «Ministre des ordures» .
Regrets
Deux œuvres magnifiques absentes du palmarès: Delta du cinéaste hongrois Kornél Mun-druczò sur la marginalité et la transgression. Un frère et une sœur se découvrent, s’aiment. Ils seront châtiés. La lumière sublime des images du delta du Danube contraste dramatiquement avec le milieu sordide que les héros tentent de fuir. Magnifique. Valse avec Bashir de l’Israélien Ari Folman, une plongée dans la mémoire perdue et retrouvée d’une période tragique. Puissante évocation du passé enfoui pour cause d’horreur; de jeunes soldats israéliens sur les lieux des massacres lors de la première guerre du Liban. L’histoire reconstituée en animation. A voir absolument.
Deux œuvres décevantes dans cette compétition: My Magic de Eric Khoo. Fallait-il absolument mettre ce petit mélodrame qui nous arrivait de Singapour en compétition? Histoire banale d’un père alcoolique qui, par amour pour son fils, redevient magicien, tournée sans imagination formelle. Assez réussi en tant que vidéo amateur. Incongru et ridicule comme concurrent pour la Palme d’Or. The Palermo Shooting de Wim Wenders. Bonjour tristesse! Verbeuse promenade, cheminement pseudo-philosophique, est le pensum que nous a infligé le talentueux auteur de L’Ami américain et de Les ailes du désir. Il est question d’amour et de mort dans ce long métrage d’une subtilité «pachidermique».
Pour Rire
Détail fumant: le président Sean Penn, fumeur pratiquant et rebelle à la prohibition a naturellement fait fi de l’interdiction de fumer dans un batiment public, en l’occurence le Palais des Festivals. Son exemple fut, selon la rumeur, suivi par quelques autres personnalités.
L’art paie
Véritable pactole pour la ville de Cannes, le Festival du film a des retombées commerciales considérables. On estime à 170 millions d’euros ses retombées en 2007. Pré-cisons que tous les niveaux de gouvernement s’unissent pour le financer dignement. Exemple à suivre.
À l’année prochaine…