L’art de l’imposture

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

À la fin des années 1960, le réputé marchand d’art Fernand Legros est démasqué pour avoir vendu des dizaines de faux tableaux. Vingt ans plus tard, en 1988, le peintre québécois Réal Lessard dévoile dans son autobiographie, L’Amour du faux, que c’est lui qui a peint les faux de Legros. En 2021, Simon Roy, professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx, tente de démêler le vrai du faux dans son dernier roman : Fait par un autre.

Comment Lessard a-t-il pu berner l’œil attentif des experts et des collectionneurs pendant toutes ces années? Ou plutôt, comment un peintre aussi talentueux, capable d’imiter à la perfection les plus grands maîtres, est-il resté dans l’ombre si longtemps? En fait, peut-être que la vraie question, c’est : Réal Lessard a-t-il réellement peint quoi que ce soit?

Départager le vrai du faux est difficile, voire impossible, lorsqu’il s’agit de Réal Lessard, admet M. Roy. Et c’est justement ce qui rend le personnage aussi fascinant.

« Il y a une double duplicité qu’on retrouve dans sa biographie. On doute du fait que Lessard soit un faussaire, ou qu’il ait peint lui-même. Les gens qui le côtoyaient sont à peu près tous morts [lorsqu’il publie sa biographie], donc il a le beau jeu. »

Dans son ouvrage, Simon Roy se questionne aussi sur l’authenticité, le vrai et le faux, les masques que l’on porte et la définition même de l’art.

« J’ai écrit une biographie de Lessard mais en jouant le même jeu : en trichant. Comment croire un menteur, un faussaire? Je me donne le droit de lui jouer un tour. »

Authenticité

« Je pense qu’on est tous un peu des imposteurs. Je ne suis pas le même gars quand je donne un cours, quand je suis avec mon meilleur ami ou quand je suis avec ma blonde. On se met en scène. On a tous des masques. Je ne suis même pas sûr que moi-même, je sais qui je suis, dans la fine pointe », explique l’auteur.

Pourtant, ces masques ne servent pas toujours à mentir ou à tromper. Parfois, ils permettent au contraire de révéler une facette plus authentique de nous-mêmes. M. Roy donne l’exemple d’auteurs connus qui écrivent parfois sous un nom de plume, comme Romain Gary qui signe Émile Ajar, ou Stephen King qui signe Richard Bachman.

« Ils disent, pour se défendre, qu’ils arrivent à mieux se dévoiler sous un autre nom. »

« On aime tous passer l’Halloween, nous déguiser, jouer à être un autre, et pas nécessairement pour berner », ajoute l’auteur.

Qu’est-ce que l’art?

En racontant la vie (réelle ou fictive) de Réal Lessard, Simon Roy se demande aussi s’il existe une différence entre un artiste et un technicien de talent. « Il y a un jeu entre la réalité et l’imposture. La frontière est floue. Si on ne reconnaît pas qu’il s’agit d’un faux, est-ce que l’œuvre a moins de valeur? Si Lessard avait signé lui-même ses toiles, est-ce que ce serait de moins bonnes œuvres pour autant? C’est toute la question : c’est quoi l’art, en fait? »

Loin de donner une réponse définitive, l’auteur croit tout de même qu’il y a une réelle distinction.

« Prenons le ready-made de Duchamp : un urinoir dans un musée devient une œuvre d’art. Toi et moi, on pourrait aller à la quincaillerie et en faire autant. Mais ce qui définit l’artiste, c’est l’idée qu’il a. Son génie réside là-dedans, dans sa démarche. »

Signer ou ne pas signer?

L’auteur s’interroge aussi sur l’importance de la signature. Après tout, pendant long-temps, les artistes ne signaient pas leurs œuvres, et celles-ci étaient appréciées sur la base de leur mérite propre. Alors, l’acte de créer ne devrait-il pas se suffire à lui-même, au-delà de toute prétention à la reconnaissance ou à la postérité?

« J’adhère complètement à ça, mais c’est impossible parce qu’on est trop vaniteux. On a besoin d’amour, d’être reconnu et apprécié, de se faire dire qu’on est génial. Mais tout ça est éphémère. Tant mieux si l’œuvre passe dans le journal, à la radio, à la télé, mais c’est rare celles qui durent 10 ans, et encore plus rare celles qui durent un siècle. »

L’auteur en sait quelque chose. Il est atteint d’un cancer du cerveau. Les médecins lui donnent un an à vivre, peut-être moins.

M. Roy raconte qu’au lancement de son premier roman, Ma vie rouge Kubrick, un ami lui a demandé quelles étaient ses attentes. Il a pris une pierre et l’a lancée dans le lac. En pointant les cercles formés sur l’eau, il a répondu : « Je sais que ma famille va le lire, parce qu’elle m’aime. Mes collègues vont le lire, pour parler dans mon dos. Mes amis vont le lire, par loyauté. Mon espoir, c’est que quelqu’un d’autre, à l’extérieur de ces cercles, le lise. »

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