(Photo : Philippe Bossé )
Margaret Qualley dans le rôle de Joanna Rakoff.

Mon année Salinger de Philippe Falardeau

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Plus d’un an après avoir donné le coup d’envoi de la 70e Berlinade, le film de Philippe Falardeau, Mon année Salinger, sera distribué au Canada et dans plusieurs autres pays à travers le monde. Retardée à deux reprises, la sortie aura finalement lieu le 5 mars prochain. L’œuvre sera présentée dans les salles de cinéma, en plus d’être disponible en vidéo sur demande.

Adapté du récit autobiographique de Joanna Rakoff, le film raconte l’histoire de cette dernière, jeune diplômée en littérature rêvant de devenir écrivaine. Dans le New York de 1996, elle est embauchée comme assistante dans une agence littéraire. Sa patronne, Margaret (Sigourney Weaver), une femme sévère et intimidante, est l’agente de nul autre que J.D. Salinger. Le synopsis du film, ainsi que les premières minutes de celui-ci, nous donne l’impression d’entrer dans une version années 90 de The Devil Wears Prada.

Ce n’est pas une nouvelle Meryl Streep

Philippe Falardeau se réjouit d’enfin pouvoir présenter son film Mon Année Salinger. Photo : Julie Artacho

C’est une agréable surprise de constater qu’au contraire, le film s’éloigne habilement du stéréotype des relations toxiques entre jeune femme et patronne. Sans perdre de vue leur position respective, les deux personnages développent plutôt une relation évolutive, réaliste et respectueuse. Le réalisateur indique que dans le roman auto-biographique, la patronne avait peu de relief. Il a choisi de lui ajouter de la nuance, de la profondeur et de l’humanité. « Ça aurait été un gaspillage éhonté d’avoir Sigourney [Weaver] dans un rôle qui demeure unidimensionnel », ajoute Philippe Falardeau en riant. « Je n’avais pas envie de refaire le coup de Devil Wears Prada, où le personnage de Meryl Streep reste sensiblement le même.»

Par ailleurs, le film ne tourne pas précisément autour de la relation qu’entre-tiennent Joanna et Margaret : il est traversé par divers thèmes. On se penche sur cette période d’incertitudes et d’ambition que représente le début de la vingtaine. Ayant lui-même connu cette quête émancipatrice dans les années 1990, Philippe Falardeau s’est reconnu dans le récit de Joanna Rakoff.

Faire honneur au point de vue féminin

Aussi, après avoir fait des films avec des protagonistes principalement masculins, le réalisateur souhaitait travailler avec un personnage principal féminin, ce qui représentait un défi bien différent. « Tu ne veux pas projeter un fantasme d’homme dans un point de vue de femme », indique-t-il. C’est pourquoi il a inclus d’autres visions pour bonifier ou remettre en question la sienne.

Après avoir écrit les premières versions du scénario, il a rencontré l’actrice qui incarne Joanna, Margaret Qualley, à New York. Il lui a remis le roman autobiographique pour qu’elle puisse le lire. Le réalisateur voulait savoir ce qui l’avait interpelée ou touchée, des éléments qu’il avait peut-être lui-même laissé de côté. « Ça m’a permis de réajuster le tir en fonction d’une perspective féminine. » L’autrice Joanna Rakoff a elle aussi été impliquée tout au long du processus de création. Elle a notamment guidé le réalisateur sur le langage de l’époque et la manière de s’habiller.

Rencontre entre le passé et le futur

Le film s’inscrit dans une époque singulière et positionnée « entre l’arbre et l’écorce », comme la définit Philippe Falardeau. Le clash générationnel présent dans le film rend compte de cet entre-deux : la technologie évolue et l’arrivée de l’ordinateur bouleverse nos rapports au travail, mais parallèlement, la parole, l’écriture et les lettres demeurent significatifs. Nous avons un pied dans le passé, et un autre dans le futur.

Sigourney Weaver dans le rôle de Margaret. Photo : Philippe Bossé

Une grande partie du travail de Joanna réside justement dans la lecture de lettres d’admirateurs, adressées à J.D. Salinger. Philippe Falardeau confie aussi avoir envoyé, plus jeune, des lettres à des auteurs ou des cinéastes qu’il admirait. « Aujourd’hui, je peux aller sur le compte Instagram de Brad Pitt et lui écrire », contraste-t-il. « Si ça se trouve, un publiciste va me répondre. Tout ceci est faux. Mais la lettre, c’était autre chose. Il y avait un investissement de temps qui n’est plus le même. »

S’ennuie-t-il de cette époque? Pas tout à fait. Il est content d’avoir connu les deux. « Je m’ennuie plutôt de l’époque où on pouvait s’ennuyer », indique-t-il. L’arrivée des réseaux sociaux et des applications comme FaceTime a bouleversé nos rapports avec les autres. « Quand je retrouve des amis en Europe, je n’ai même pas l’impression que ça fait trois ou quatre ans que je ne les ai pas vus. »

Bref, le film nous plonge dans cette époque vertigineuse entre le passé et le futur, incarnée à merveille par cette rencontre entre Margaret et Joanna, réunies par l’instant présent. Une relation féminine intergénérationnelle rafraichissante, franche et réaliste, qui ne tombe pas dans l’adoration démesurée ou la toxicité. Tout fait sens dans ce film dont les évènements s’enchaînent et s’influencent tout naturellement. Le rythme est plutôt lent et sans grands artifices. Et pourtant, nous n’arrivons pas à y décrocher les yeux.

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