Sikiitu: Un court métrage traversé par des questionnements identitaires
Il y a une dizaine d’années, le réalisateur Gabriel Allard Gagnon filme un épisode d’une série documentaire dans le village d’Ivujivik, au Nunavik. Cette expérience, qu’il qualifie d’incroyable, nourrit son imaginaire. Sur place, il est surpris de constater que plusieurs jeunes « trippent » sur la culture hip hop. De là émerge l’inspiration pour ce qui deviendra son premier court métrage de fiction, Sikiitu.
Projeté pour la première fois en 2022, le film fera également partie de la compétition officielle du Festival Plein(s) Écran(s), du 18 au 29 janvier 2023. Le scénario est écrit en 2014, puis le tournage s’échelonne sur 10 jours en 2015, à Ivujivik. Des enjeux de production et de traduction, notamment, retarderont ensuite la sortie de ce projet particulièrement ambitieux.
« Quand tu fais un projet sur une aussi longue période, à un moment donné, tu perds la foi », raconte le cinéaste installé à Saint-Sauveur depuis 2 ans. « Quand on a commencé la run des festivals, j’étais juste heureux de l’avoir terminé. Je n’avais pas de grandes ambitions », explique-t-il. « Contre toute attente », Sikiitu remporte le Grand prix canadien à sa première projection au Festival international du court métrage, REGARD. Puis, en avril 2022, il reçoit la plus haute distinction au Gala Prix Prends ça court! qui récompense le meilleur du court métrage québécois.
Plusieurs années séparent l’écriture du scénario et sa projection. Pourtant, le film conserve sa pertinence. Les sujets qu’on y aborde, comme les remises en question identitaires et le fossé générationnel, sont intemporels.
Jusqu’où rejeter ses origines?
Au-delà des magnifiques paysages du Nord-du-Québec, le film plonge au cœur d’une relation complexe entre un père et un fils qui ont de plus en plus de difficulté à se comprendre. Ali est un adolescent inuit de 15 ans. Adepte de hip hop, il rêve d’une carrière de rappeur. Chaque jour, il accompagne son père à la chasse, à bord du Ski-Doo familial. La honte habite les deux camps : Ali critique les piètres qualités de chasseur de son père et en a assez de son Ski-Doo, constamment en panne. À l’inverse, le père se désole de voir son fils se méprendre pour un rappeur et s’éloigner de sa culture.
Dans le court métrage, le Ski-Doo et le hip hop jouent un peu le même rôle, précise Gabriel Allard Gagnon. Ces deux éléments proviennent « du sud » et bouleversent le quotidien et l’identité de cette petite famille au Nunavik. Ça permet d’explorer leur impact sur ce qui unit et éloigne deux générations. « Ça me fascine cet aspect du jeune qui coupe ses racines », souligne le réalisateur. « Ça renvoie à l’image du renard qui se mange la jambe pour se libérer d’un piège. Il se libère, mais il perd une jambe. En tant que jeune, il arrive que tu veuilles rejeter d’où tu viens. Mais si tu en rejettes trop, tu n’avanceras peut-être pas aussi vite que tu le souhaiterais. »
Sensibilité et introspection
Une fois le scénario écrit en 2014, il est traduit en inuktitut. Ensuite, il est lu par plusieurs personnes qui habitent le village d’Ivujivik. « Je voulais m’assurer que le film soit réaliste et qu’il ait du sens pour les Inuits », explique Gabriel. L’acteur qui joue le rôle d’Ali, Jusi Sala, travaille même à la réécriture du scénario. « Il lisait ça et disait “il n’y a personne qui parle comme ça ici”. C’est lui qui a tout réécrit et fait en sorte que ce soit authentique. C’est ce qui rend le film important pour les communautés du nord », confie le cinéaste.
Il y a 10 ans, s’intéresser à la facette identitaire et culturelle d’une communauté inuit, c’était perçu comme « un vent de fraîcheur » se remémore le réalisateur. « Tout a été fait avec une grande sensibilité, on savait qu’il fallait être prudent », ajoute-t-il. Avec le recul, de nouvelles réflexions s’imposent. S’il refaisait le même film demain matin, Gabriel confie qu’il impliquerait les communautés encore plus tôt. Il en ferait un réel travail de collaboration. Il se réjouit tout de même que le film sorte à une époque où ces considérations se discutent.
Aujourd’hui, le réalisateur se dit habité par les rencontres et les liens qu’il a tissé avec les communautés au Nunavik. « Depuis 10 ans, j’ai vu des choses qui m’ont bouleversé. J’ai envie d’en parler, mais je me pose la question, à savoir si c’est moi la bonne personne [en tant que Blanc] pour le faire. Mais pendant que je ne le fais pas, je ne le vois pas non plus à l’écran. Je tergiverse encore avec tout ça », conclut Gabriel.
Le Festival Plein(s) Écran(s)
Plein(s) Écran(s) est un organisme de diffusion 100 % en ligne depuis 2016, dont la mission est la découvrabilité et la démocratisation du contenu court auprès du grand public par la promotion et le rayonnement des talents du court métrage au Québec, en région et à l’international.
Le film de Gabriel Allard Gagnon, Sikiitu, sera présenté le 24 janvier. En inuktitut, Sikiitu signifie Ski-Doo.