Le transport maritime et aérien pourrait supplanter le transport terrestre.

Tarifs américains : Redessiner les chaînes d’approvisionnement

Par Luc Robert

Les grandes compagnies mondiales de transport souffrent de l’incertitude créée par les tarifs douaniers et les menaces de Donald Trump, mais elles avaient déjà prévu un deuxième mandat rocambolesque du locataire de la Maison-Blanche en refaisant leur réseau d’approvisionnement ailleurs qu’aux États-Unis.

Plusieurs firmes minières ont notamment commencé à diversifier la provenance de leurs matières premières et la façon de les acheminer vers différents pays, pendant les derniers mois du règne de Joe Biden à Washington.

« Les grandes compagnies minières vont combler le manque à gagner à moyen terme. Il se passe actuellement une réorientation de la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui se redessine à vitesse grand V, hors des États-Unis. Ce n’est pas de gaité de cœur que les minières ont repensé tout ça. Ça entraîne des coûts d’ajustements et du chômage dans plusieurs secteurs de l’économie, alors que d’autres vont en bénéficier. Le secteur minier change ses tracés et la provenance de la matière, mais il finira par trouver et acheminer ce dont il a besoin. Les Américains s’isolent dans un coin avec leurs tarifs. L’avion et le bateau vont supplanter l’approvisionnement routier facile, qui parvenait majoritairement des États-Unis », a prévu M. Mario Roy, directeur de développement de projets et de déplacement de cargos hors-normes dans l’industrie minière.

M. Roy oeuvrait pour Cargolution, une entreprise ayant des bureaux au Québec et à Toronto. Ils ont été rachetés par la française Clasquin, qui elle-même a été avalée par MSC Genève, le leader mondial du transport par conteneurs. L’entité dispose d’une force de plus de 150 000 employés mondialement.

Acheminer différemment

Mario Roy planifie des nouvelles routes d’acheminement d’équipements en évitant les États-Unis. Photo: Luc Robert.

Mario Roy planifie des nouvelles routes d’acheminement d’équipements en évitant les États-Unis. Photo: Luc Robert.

Le Jérômien s’adapte aux aléas des marchés mondiaux, en s’adonnant à des exercices d’équilibriste à coups d’une centaine de courriels quotidiens, pour regrouper les équipements de construction vers les projets actuels et futurs des grandes minières.

« Par exemple, pour la nouvelle mine de lithium qui verra le jour à la baie James, pour envoyer un broyeur de pierres, on n’attend plus après les variations quotidiennes américaines : on effectue le transport des équipements requis par voie aérienne vers Val-d’or ou par bateau, venus de Montréal, d’Halifax et de Vancouver par train, en transit vers la baie James. Ça requiert plus de paperasse électronique, mais la roue continue de tourner jusqu’aux points de dépôt », a-t-il décrit.

Les compagnies minières ont mis à exécution leurs plans B pour contourner les tarifs américains. Et leur mode de fonctionnement n’est pas à la veille de repasser par le sud de la frontière.

« Je suis récemment allé à l’assemblée générale annuelle du réseau des agents de transports hors-normes en Malaisie. Ils marchaient déjà à plein régime pour des nouvelles routes et des nouvelles façons de procéder. Les agents demeurent agiles et rien n’est pris à la légère, dans une industrie minière qui fonctionne à coups de milliards de dollars. Vu que personne ne peut prédire de quel bord Trump va virer d’un jour à l’autre, les firmes mondiales ont adapté leur façon de faire. Par exemple, pour une compagnie de fer et de titane de Sorel-Tracy, qui a besoin d’additifs, des contacts et ententes ont été signées avec l’Asie du Sud-Est (Singapour et Indonésie) et même l’Afrique. Les alternatives existent et les grandes minières font déboucher les scénarios alternatifs. Je me trouvais en Afrique du Sud pour une convention à Cape Town, quand le président Cyril Ramaphosa a pris connaissance des tarifs américains. Il a laissé de côté le sujet du jour et s’est mis à condamner Trump et à parler uniquement de restructurer le secteur des routes mondiales d’acheminement. Trump a attaqué les points stratégiques mondiaux, mais les grandes firmes l’avaient vu venir. »

C’est donc avec ou sans les Américains que tout se poursuit. « À un salon d’investisseurs miniers à Toronto, qui réunissait près de 25 000 délégués, la conclusion a été que ça prendra jusqu’à 4 ans pour replanifier et restructurer les routes mondiales. Mais l’industrie minière va encore prospérer. L’or demeure toujours la valeur refuge en temps de bouleversements. Et ces derniers mois, l’or est passé à 3 000 $ l’once, en hausse de 1 000 $, à cause des turbulences et de l’instabilité des mesures de Trump. C’est une bonne nouvelle pour moi : j’aurai encore de l’équipement à acheminer, mais vers des mines d’or », a-t-il repris.

Vite et improvisé

L’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs de l’industrie canadienne d’exploration et d’exploitation minière, dont le siège social se trouve à Toronto, a multiplié les démarches pour nouer de nouvelles ententes avec sa clientèle de 130 pays.

« Trump a procédé trop vite en instaurant ses tarifs de 25 %. Les firmes d’import-export américaines et les douaniers n’ont pas le temps de modifier l’étiquetage et les inscriptions informatiques nécessaires à l’acheminement et à l’entrée du fret cargo aux douanes. On pense que les grandes firmes américaines ont dit à Trump de ralentir le tempo trop rapide des modifications, pour leur donner le temps de modifier les données du système. Les déclarations douanières ont du sable dans l’engrenage. Ça expliquerait sa danse quotidienne, à imposer et à retarder les tarifs. Mais il se tire dans le pied, parce que le marché mondial comble ses besoins ailleurs. Trump risque fort de créer sa propre récession chez lui, en agissant unilatéralement », estime M. Roy.

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