Ainsi soit chill!

Par Frédérique David

Quand on se passionne pour la langue, on ne peut que s’émerveiller devant le génie linguistique dont font preuve les jeunes et c’est ce qu’a fait Jérôme 50 dans son délicieux balado « Ainsi soit chill ». Chanteur, étudiant à la maîtrise en linguistique et auteur d’un dictionnaire collaboratif consacré à la langue des jeunes, « le dictionnaire chilleur », Jérôme 50 tente de nous rappeler qu’une langue est quelque chose de vivant, de malléable et que c’est conditionnel à sa survie. Les jeunes ont toujours cherché à se distinguer de la génération précédente, linguistiquement notamment, et de créer un langage dans lequel ils se comprennent. Ce n’est pas nouveau. Dans les années 1980, on s’émerveillait devant « Le monde est stone » de Luc Plamondon, mais on se montre outré devant des expressions actuelles comme « c’est chill! », « j’ai badtrip » ou « j’ai struggle à mon exam ».

Insécurité linguistique

Inévitablement, les changements linguistiques soulèvent de nombreuses critiques dans la plupart des sociétés et, comme le soulignait récemment la professeure de linguistique Sandrine Tailleur, en entrevue à l’émission radio-canadienne « Pas faits en chocolat », c’est particulièrement vrai dans les communautés où la langue est étroitement liée à l’identité. Le Québec vit donc une insécurité linguistique qui le rend allergique aux changements. Dès lors, on considère les évolutions linguistiques comme une menace plutôt qu’un signe vibrant de la vitalité de notre culture et de notre société. Notre tradition normative très forte fait en sorte que si un mot n’est pas dans le dictionnaire, il n’est pas accepté. Pourtant, plusieurs mots ou interjections issus de la créativité des jeunes finissent dans le dictionnaire, comme lol. Même la pandémie a permis de créer de nouveaux mots comme « covidé », pour désigner une personne atteinte de la Covid, « confiné » ou « déconfinement ». Bref, la langue évolue au fil des événements, des changements sociaux et des influences culturelles.

Le faucon pèlerin

Cette résistance aux changements particulièrement présente au Québec a donné lieu, en mars dernier, à la diffusion d’un message publicitaire du gouvernement québécois pour la survie du français intitulé « Le faucon qui chill». Ça va comme suit : « Cet oiseau de proie vraiment sick est reconnu pour être chill. Parce qu’il est super quick en vol, il peut passer la majorité de son temps à watcher son environnement. Malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch. » Personnellement j’ai trouvé que ça sonnait comme un parent maladroit qui essaie d’adopter un langage jeune sans en maitriser les codes. C’est d’autant plus déplacé que ce parent a lui-même tendance à massacrer le français à profusion lors de ses apparitions publiques. Le « ce qu’on se rend compte » d’un premier ministre me font plus sourciller que le « j’ai get une pizza » d’un jeune. Bref, le faucon chilleur aura au moins inspiré François Pérusse qui en a tiré quelques versions hilarantes!

De toute évidence, le gouvernement s’est montré très maladroit en se moquant des jeunes au lieu de valoriser la langue française. Pire encore, il a montré son incompréhension face aux variations nécessaires de la langue. Il serait temps de comprendre que la créativité linguistique des jeunes est une preuve d’amour envers leur langue et envers la diversité culturelle. Comme le mentionnait Sandrine Tailleur, on devrait plutôt souligner la formidable capacité des jeunes à maitriser plusieurs niveaux de langage, à jouer avec les mots et à permettre à la langue de s’adapter à de nouvelles valeurs et à témoigner de nouvelles réalités.

Une langue vivante

Est-il nécessaire de rappeler que le français que nous parlons aujourd’hui n’est pas celui de Molière ou de Voltaire et qu’au fil des siècles notre langue a connu d’innombrables transformations? De nouveaux mots sont créés, empruntés à d’autres langues ou transformés pour répondre aux besoin d’une société en constante évolution. Ces changements ne sont pas des erreurs, mais des témoignages de la vitalité de notre langue.

Soyons ouverts à l’évolution de notre langue, célébrons la richesse de notre patrimoine linguistique en constante évolution et applaudissons la diversité des voix qui le façonnent. C’est cette évolution qui permet à notre langue de rester pertinente et de refléter fidèlement notre société.

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