Ces écrans qui piègent nos enfants
Par Frédérique David
On dit que chaque génération arrive avec ses nouveaux problèmes, ses nouveaux fléaux. N’empêche que celle qui forme notre jeunesse actuelle est confrontée à pire qu’il y a 30 ou 40 ans. Pas étonnant que nos jeunes soient aussi nostalgiques des années 1980 et 1990. Ce n’est pas juste parce que Kurt Cobain était encore en vie. C’est notre insouciance d’alors qu’ils envient.
De nombreux ados confient même qu’ils auraient aimé vivre sans cellulaire. Parce qu’ils réalisent qu’ils ne peuvent plus s’en passer et que cela vient avec son lot de pression sociale, son fardeau de dépendance, son terrible pouvoir de faire tourner le hamster cérébral plus vite que l’hastérohache de Goldorak. Certes, ils vivent avec leur cell greffé à leur bras, mais ils vivent aussi avec la pression que cela entraine : faire partie de la gang, ressembler aux vedettes qui défilent sur leur fil Instagram ou se procurer le dernier truc louangé par un de ces influenceurs de la mode ou du « lifestyle » payés par de grandes marques. Et que dire de l’absence de liberté que cela procure, paradoxalement, quand les parents s’attendent à ce que leur progéniture réponde immédiatement à leurs appels ou, pire, qu’ils ont installé des apps de géolocalisation pour mieux suivre leurs déplacements?
Niveau alarmant de cas de sextorsion
Comme si tout ce cocktail explosif n’était pas suffisamment anxiogène, nos jeunes font également face à des dangers beaucoup plus préoccupants, à commencer par la sextorsion. Cette forme de chantage exercée par des internautes sans scrupule consiste à obtenir une photo ou une vidéo intime du jeune et de menacer de la diffuser sur Internet s’il ou elle refuse d’envoyer de l’argent ou d’autres photos du genre. Le site Cyberaide.ca reçoit un nombre grandissant de signalements et Statistique Canada a enregistré, en 2021, une hausse de 52% du nombre d’affaires de distribution non consensuelle d’images intimes par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.
Les tout-petits exposés à la violence
Malheureusement, les plus jeunes ne sont pas épargnés par les conséquences néfastes des écrans sur leur bien-être et leur développement. Une étude récente menée par Linda Pagani, professeur de psychoéducation à l’Université de Montréal, a révélé que les enfants de trois ou quatre ans et demi qui ont consulté du contenu violent à l’écran ont plus de risque de rencontrer des difficultés psychologiques et scolaires à l’adolescence. Ces nouvelles données ne surprendront pas les enseignantes qui en mesurent déjà l’impact depuis plusieurs années dans leurs classes. Il n’est plus rare d’entendre des enfants de maternelle raconter, dans la causerie du lundi, qu’ils ont passé la fin de semaine à jouer à Fortnite ou à Grand Theft Auto. Il n’est pas rare non plus de voir un élève dans une classe de primaire avoir des comportements qui démontrent clairement qu’il n’est plus connecté à la réalité, mais qu’il vit dans un monde parallèle. Et que dire des jeux violents observés dans les cours de récréation et qui sont indéniablement inspirés de ces jeux vidéo? Certains parents ont même laissé leurs enfants de 9 ou 10 ans regarder la série Squid Game qui met en scène des fusillades, des meurtres, des suicides et beaucoup de sang! Linda Pagani rappelle que les jeunes enfants se fient à ce qu’ils voient pour discerner un comportement acceptable d’un comportement qui ne l’est pas. Malheureusement, si les parents ne mettent pas de limites au temps d’écran et à ce qu’ils permettent à leurs enfants de voir, notre société sera plus anxieuse et plus violente. Entre 2012 et 2015, 2300 cas d’agression physique ou de violence psychologique ont été signalés par des enseignantes du Québec. Il n’est pas difficile d’imaginer, après les années de pandémie qui ont fait croitre le temps d’écran des jeunes, que ce nombre a tristement augmenté depuis. Les insultes et les chaises lancées en classe font malheureusement partie du quotidien difficile de trop d’enseignantes, de psychoéducateurs et de techniciens en éducation spécialisée au Québec!
À quelques semaines de Noël, les parents ont des choix à faire qui influenceront la réussite personnelle et économique de leurs enfants et le mieux-être de notre société. Il y a fort à parier que le iPhone 13 sera plus présent sur les listes envoyées au père Noël que les Goldorak de ce monde.