Mouton noir
Chronique d’un X
par Jean-Claude Tremblay
jctremblayinc@gmail.com
« Le monde couraille à gauche à drette comme un troupeau qui court dans bouette, y’en a qui calent, y’en a qui arrêtent pis tous les autres y pillent sur la tête ».
Non, ce n’est pas un extrait de la nouvelle pièce d’Émile Bilodeau qui dépeint les travers d’une société malade, où certains individus jaloux et sans scrupules sont prêts à écraser leurs voisins et les freiner lorsqu’ils volent plus haut qu’eux.
C’est plutôt tiré de la chanson «Moutonoir», du répertoire de Michel Latraverse dit Plume, sorti en 1976. En passant, pouvez-vous croire qu’il a 73 ans cette année, ce poète délinquant parfois mal aimé ?
On dit qu’il est « un des représentants les plus significatifs de la contre-culture québécoise », mais moi quand je l’ai connu, lorsque j’étais à peine ado, je n’y voyais qu’un chansonnier vulgaire qui me faisait vraiment rire. Idem pour Elvis Gratton, ce coloré personnage de colon de « Canadien, Américain, francophone, d’Amérique du Nord ! »
C’est fou comme les années et l’expérience de vie amène une tout autre dimension et nous permet de capter un deuxième, voire un troisième degré.
Je suis retombé sur cette pièce, « Moutonoir » de l’illustre Plume il y a quelques jours, pour me rendre compte qu’au final, les mêmes enjeux sont à l’ordre du jour, mais qu’en revanche, le monde comporte de moins en moins d’empêcheurs de tourner en rond, et de plus en plus d’ambassadeurs de la neutralité, un plat sans contradiction, et jamais salé.
L’affaire du « Festival du Solstice d’été »
Contrairement à plusieurs, je n’ai pas été surpris outre mesure par cette décision d’un arrondissement de Montréal de rebaptiser (ou plutôt débaptiser) la Saint-Jean-Baptiste. On est rendu là. La quête de certains à vouloir javelliser l’espace public a le même impact que les produits de nettoyants domestiques sur notre système endocrinien : des perturbateurs silencieux qui peuvent mener à un cancer sociétal bien réel, et tristement fatal.
Dépolitiser une fête… je ne suis pas contre la prémisse, mais lorsque je cogite deux secondes, je me dis qu’une fête dite « nationale », peut-importe dans quel pays, c’est politique par définition, et ça n’a pas nécessairement à voir avec la couleur pour laquelle tu as voté en 1995 aux élections, et tout avoir avec ton territoire d’habitation. Nier le fait politique équivaut à ignorer volontairement ou l’on vit, en évitant de se poser la question fondamentale qui est : « que représente fondamentalement pour nous le mot patrie ? »
L’affirmation et le contraste
Je me doute que les soirées de feux de camp avec de la musique engagée où l’on décidait, souvent sans trop le savoir, de révolutionner le monde en misant sur notre fierté collective et notre sentiment d’appartenance sont comptées.
Normal diront certains, car nous vivons dans un monde où l’attrait de « l’internationalité » semble primer sur la proximité (lire: on veut connecter avec le bout du monde… mais on ne connaît plus nos propres voisins).
C’est là toute la beauté et le danger de s’attacher, voire d’incarner une identité, car lorsque celle-ci s’effrite, nous risquons de ne carrément plus être.
C’est peut-être pour cela que les signes et autres manifestes de festivités ostentatoires (!) tendent à être remplacés par des célébrations plus neutres, et vanillés au possible.
Mouton noir est une expression idiomatique en voie de disparition, car on l’utilise désormais dans un cadre quasi folklorique, alors qu’à l’origine, elle était employée pour décrire une personne porteuse d’une attitude ou d’une opinion qui incarnait le contraste, désormais en perdition, et ô combien nécessaire dans la société où nous vivons.
Comme disait l’autre, on a chacun nos p’tites misères, mais faut pas s’en faire un calvaire, mais ça ne m’empêchera jamais d’être vigilant et de prendre soin de relever à souhait les plats de mon terroir, celui que j’habite, et qui m’habitera toujours et encore.