Internet de misère

Par jocelyne-cazin

Elle défile sous mes yeux comme le temps qui passe au ralenti. Elle me nargue cruellement. Cette barre de progression, de chargement. Cette barre qui m’embarre me rappelle inexorablement qu’Internet haute vitesse ne fait pas partie de ma vie, ni de celle de centaines d’autres citoyens de seconde zone que nous sommes ici dans les Basses-Laurentides.

Pourtant à moins d’un kilomètre de nos résidences, des habitants nous font pratiquement le pied de nez avec leur Vidéotron ou Bell-Canada, 28 fois plus rapide, pour presque deux fois moins cher. Oui deux fois moins cher que le service que nous devons prendre de force. Alors que nos voisins ont les deux pieds dans le 21e siècle, nous, nous avons les deux pieds dans le béton de l’indifférence des serveurs du web qui n’ont de service que le nom.
À quoi sert un serveur qui ne veut pas servir?

J’en ai ras-le-bol! Je suis exaspérée au nom de milliers de citoyens du Québec (200 000) incapables d’entrer dans la modernité, parce que des compagnies se rient de nous. Chaque matin que la vie me donne, je vous le jure, je suis de bonne humeur, mais après quelques minutes du lever du corps, il me suffit de cliquer sur le bouton de mon ordinateur pour me rappeler ma mauvaise humeur, ma colère de ne pouvoir travailler dans la normalité, dans la contemporanéité.

Internet haute vitesse montre-toi! Fais-moi signe! Je vais payer le prix que tu coûtes. De toute façon Impossible de payer plus cher que maintenant! Le sablier sur mon écran coule si lentement que je peux compter chacun des grains de sable. Chacune de mes demandes demeure courriel mort…. Sic.

Chacun de mes téléchargements se traduit par une lenteur extrême. Imaginez lorsque le brouillard ou la pluie s’en mêle. Barre de régression! C’est comme si la préposée me disait : «Il n’y a pas de service au numéro que vous avez composé». Chez nous Internet fonctionne pratiquement au charbon.
À Prévost, une pétition de plusieurs centaines de citoyens ne réussit même pas à soulever les passions de la mairie. On s’en occupe, tout en semblant presque résigné devant les chicanes des entreprises protectrices de leurs territoires. La compagnie East Link possède le territoire du Lac René et une partie de St-Hyppolyte. Vidéotron et Bell-Canada ne peuvent avoir accès à cette partie de territoire, ne veulent même s’approcher de ces terres avec un câble de 100 pieds ou une fibre optique!

Pourquoi? Lisez l’article de la journaliste Caroline d’Astous dans cette édition-ci d’Accès. Vous comprendrez que nous, citoyens de seconde zone, sommes véritablement pris en otage. Faut-il frapper à la porte du CRTC (Conseil de la radio et de la télévision)? Bien, voyons donc! Que faites-vous de la libre concurrence! Le CRTC chargé de superviser les télécommunications canadiennes supervise ce qui ne dérange pas trop.

En 2010, à l’ère des télécommunications rapides, où l’on travaille désormais par le biais du web, on peut se poser la question : comment se fait-il qu’internet ne soit pas considéré comme un service essentiel, comme l’a été le téléphone dès sa venue parmi nous. Quoi! Je lis qu’internet haute vitesse est un service essentiel?! «Internet haute vitesse est un service essentiel qui permet aux gens de continuer à résider dans la région de leur choix tout en développant des entreprises à la hauteur de leurs ambitions et de notre besoin collectif d’enrichissement. Internet sert à augmenter le niveau de productivité d’un pays. Selon un rapport de la Banque Mondiale, chaque fois que l’on accroît de 10% l’accès à la bande passante, la croissance économique gagne 1,2%.» Diane Bérard, sur www.les affaires.com, 27 avril 2010).

Est-ce que les grands penseurs de certaines régions rurales comme là nôtre pourraient relire à plusieurs reprises ce qui précède? Voilà pourquoi des gens intéressants qui ont des expertises à offrir ne viendraient pas s’installer ici parce que le service internet haute vitesse, le vrai est inexistant. Vous êtes demeuré perplexe devant le mot rural? Bien sûr qu’à 45 minutes de Montréal, faisant désormais partie de la banlieue de la «métropole» avec une augmentation démographique exponentielle où l’on a troqué les arbres pour le béton, vous avez raison de vous demander si nous sommes dans une région rurale ou urbaine.

Croyez-le ou non, nos gouvernements ont promis d’investir des millions de dollars pour brancher les régions rurales. Je pose la question à nos élus : avez-vous reçu cet argent? Ou sommes-nous assis entre deux chaises, ni rurale ni urbaine?

Vous qui êtes peut-être en train de lire ce texte sur votre Internet haute vitesse, vous n’en n’avez rien à cirer de nos récriminations. Malheureusement l’indifférence des uns dessine le portrait de notre belle société.

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