L’arrière-train
Par claude-andre
Dimanche dernier. Saint-Hippolyte. Week-end savoureux chez des amis malgré les Gino fluo qui, sous le soleil de midi, débarquaient leur yacht de leur 4X4. Juste à côté des enfants qui batifolaient dans la petite baignade aménagée du Lac Achigan.
La veille, promenade dans le village et autres flâneries dont, subrepticement, la recherche de Réjean Ducharme.
Mes amis artistes, qui habitent une maison ayant servi au film Les Bons débarras, dont le célèbre écrivain fantôme a écrit le scénar, m’assurent que le génial écrivain québécois contemporain y coulerait des jours paisibles en compagnie de son alter ego, Roch Plante. Le pseudo qu’il utilise pour signer ses œuvres sculpturales.
C’est aussi dans ce village que vivait William Fyfe. Le plus «prolifique» tueur en série que le Québec ait connu. Le type, qui avait le sens de l’appartenance et faisait dans le bénévolat au village, n’aurait cependant choisi aucune de ses neuf victimes dans son patelin mais seulement en périphérie.
Pour le retour en ville, dimanche soir, me suis fait reconduire à la gare centrale de Saint-Jérôme, vu que la gracieuse dame qui m’avait gratifié d’un lift la veille, une amie de mes hôtes, a choisi de poursuivre sa cavale vers Lanaudière, plutôt que de rentrer en ville comme le font habituellement les gens normaux.
17 heures, quai
n° 9, bus. Dépose mes 4 $.
Vieux réflexe rock-and-roll, me dirige dare-dare vers l’arrière-train. Prends place devant un Black qui arbore les couleurs du Sénégal et une tuque de rasta. Tête sympa, j’engage la discussion en lui demandant si le Ghana, dernier pays africain encore dans la course à la Coupe du monde de soccer, a vaincu les États-Unis. Sourire d’ivoire grand comme le bar du Ritz.
Puis mon type me raconte qu’il vient de passer un super week-end avec une maman top roulée de 42 ans qu’il a rencontrée sur Badoo. Un site internet, m’assure-t-il, très foisonnant en la matière. La fille s’appelle Lafleur. Ça tombe pile, le mec, Seydina, est botaniste. Il travaille pour une pépinière et fait dans le déneigement l’hiver. «L’été, je travaille au noir et l’hiver, je travaille au blanc!», s’esclaffe-t-il avant de me montrer sur son iPhone des photos de ses potes à Dakar.
Entre autres confidences, il m’évoque sa peine d’amour, suite à sa rupture récente avec une superbe jeune Japonaise qui ne voulait plus vivre ici.
Puis, le fan de Marley me demande si j’aime fumer du pot. Farfouille dans son sac et me tend la main. Petite boulette parfumée de fous rires enveloppée d’aluminium.
Le bus s’immobilise à un arrêt. Deux types mi-quarantaine montent. Visiblement éméchés, s’assoient près de nous. L’un d’eux dégage cet effluve particulier qui laisse deviner une cigarette allumée, puis éteinte. Le plus saoul du duo s’enquiert du temps qui reste avant le métro Montmorency. Je l’ignore. Puis, je questionne son chum de brosse qui semble désabusé au sujet du billet de contravention qu’il tient à sa main et ne cesse de relire.
— Une ostie de ticket de tabarnak! Je me suis fait arrêter parce que je buvais une bière, câlice! Ça va me coûter 75$!
Me file le billet: «Avoir consommé une boisson alcoolisée dans un endroit ouvert au public.» L’amende monte à 50$, plus 25$ piasses de frais!
Ça se passait derrière le dépanneur où la bibine a été achetée, mais le type se croyait dans un parc. Ce qui de toute façon n’eût rien changé à l’infraction.
Lui demande pourquoi il n’a pas proposé au flic de la vider en échange de sa clémence.
— C’est ce que je lui ai dit: «Attends, je vais aller la vider là, dans le canal.» Il m’a répondu: «Au prix que ça va te coûter, t’es aussi ben de la boire au complet!»
Lui ai suggéré de contester la contrav’ en cour, où il n’aurait qu’à prétendre qu’il avait substitué de l’eau à la bière après s’être enfilé le houblon interdit chez des gens. Il m’a jeté un regard incrédule!?!
Un peu plus tard, le bus est arrivé devant la grande roue et le théâtre à ciel ouvert, qui crèchent à l’orée du métro.
J’ai salué mon rasta. Me suis engouffré dans le souterrain, puis me suis engagé dans le dernier wagon du métro. C’est alors que les deux mêmes gars saouls sont arrivés en titubant.
— C’t’une ostie de bonne idée ça, man, changer la bière en eau. Comme Jésus mais à l’envers, m’a lancé le serial drinker.
Lui ai adressé un sourire en me félicitant, dans mon for intérieur, d’avoir encore le réflexe de toujours m’asseoir dans l’arrière-train.