Développer le plaisir de lire
Par Frédérique David
Fin d’année scolaire oblige, et examens du ministère en cours, les médias ressortent le refrain du piètre niveau de français des élèves. Un élève sur quatre a échoué l’épreuve ministérielle de lecture l’an dernier, en 4e année du primaire. C’est assez pour que des chroniqueurs s’insurgent et condamnent dans de gros titres suivis de points d’exclamation en pointant un coupable. Comme si le mal venait d’une seule cause! En médecine on apprend qu’un diagnostic doit prendre en compte plusieurs facteurs. En éducation, on sait que le comportement d’un élève est lié au système environnemental complexe qui a accompagné son développement, appelé « modèle écosystémique de Bronfenbrenner ». Des résultats décevants doivent être analysés avec soin et il est bien rare que la cause soit unique.
Encore la pandémie!
Bien sûr, la pandémie a encore le dos large. Elle nous arrange toujours quand elle permet de tirer une conclusion rapide et d’éviter des analyses plus approfondies. Elle a sûrement une part de responsabilité quand vient le temps d’analyser les résultats d’élèves de 4e année du primaire qui ont connu une année scolaire abrégée en 1re année, soit au tout début de l’appropriation de la lecture et de l’écriture, suivie d’une 2e année marquée par des confinements ponctuels. D’ailleurs, on note un écart entre les résultats de 4e année avant et après la pandémie. Rien d’étonnant quand on sait que les deux premières années du primaire sont une période charnière dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. On constate d’ailleurs que les élèves de 6e année n’affichent pas des résultats aussi catastrophiques que ceux de 4e année.
De multiples remises en question
Outre les confinements répétés, il y a peut-être l’examen en lui-même qui a ses limites, comme tout examen. Est-ce que celui de 2023 était moins accessible que les autres? Est-ce que le sujet le rendait plus complexe pour des élèves de 10 ans? Et les conditions de passation étaient-elles optimales pour tous? Je ne saurais le dire, mais je sais qu’en enseignement, lorsque la majorité des élèves échouent, on remet en question l’examen soumis et l’enseignement fourni, parfois même le moment choisi. S’il y a un métier où la réflexion critique est constante, c’est bien celui-là! Parce que la rétroaction de l’efficacité de l’enseignement parvient avant, pendant et après chaque activité, dans le résultat final, mais aussi dans les regards perplexes, les mains levées, les gestes nerveux, les yeux inquisiteurs. « Enseigner a à voir avec l’acte de poser des questions bien plus qu’avec celui de fournir des réponses », écrivait très justement la professeure de littérature, romancière et essayiste féministe Martine Delvaux. Douter, questionner, sonder, observer, analyser et se remettre en question, c’est le lot quotidien des enseignants efficaces. « Lorsque la pâte ne lève pas, c’est qu’un des ingrédients principaux manque », écrit la très inspirante enseignante Martine Arpin.
Des enseignants inspirants
D’ailleurs, parlons-en des enseignants, puisqu’ils sont trop rapidement pointés du doigt par des chroniqueurs qui manipulent la ponctuation avec exagération. À ce sujet, j’adore cette phrase d’Anne Archet dans « Le vide : Mode d’emploi » qui dit de la ponctuation : « C’est comme des émojis, mais pour les vieilles personnes ». Fin de la parenthèse, retour aux enseignants. Je tenais à dire combien ils s’investissent, innovent, s’adaptent et cherchent constamment à rendre leur enseignement de la lecture et de l’écriture plus efficace. Le nombre d’enseignants qui ont adopté les ateliers d’écriture et de lecture en classe ne cesse de grandir. Il s’agit d’une démarche inspirée des « Units of Study » du Teachers College Reading and Writing Project. Il s’agit surtout d’une approche pédagogique motivante pour les élèves, d’une pratique inclusive, d’une philosophie qui permet de construire un rapport positif et confiant à l’écriture.
Former des lecteurs à vie!
Et puis lire et écrire passe par les livres. Les enseignants l’ont compris depuis longtemps. Ils puisent même dans leur portefeuille pour en acheter et rares sont les écoles qui n’ont pas une période de lecture pour tous quotidiennement à l’horaire. C’est alors si beau de voir des enfants de 1re année plongés dans un mini BIG, une BD, un documentaire sur les dinosaures, assis dans le coin lecture de la classe, sous leur table, contre un ami, dans leur casier ou dans la fameuse baignoire de classe du désormais célèbre enseignant, conférencier, auteur et éditeur Yves Nadon. La lecture, ça se vit, ça se partage, ça se rit, ça s’ennuie, ça se dévore, ça s’exclame, ça se dépose, mais surtout, ça se développe toute la vie. Combien de maisons n’ont malheureusement pas de livres, pas de parents lecteurs, pas d’abonnement à la bibliothèque du coin? Le partage et l’accès aux livres sont essentiels pour que la lecture devienne un plaisir. « On ne force pas la curiosité, on l’éveille », écrivait le célèbre auteur Daniel Pennac.