Boue or not to boue?
Par Josée Pilotte
Ce n’est pas dans mes habitudes de mettre des gants blancs pour dire les choses, mais comme je trouve le sujet délicat, susceptible d’irriter quelques égos (même le mien), j’enfilerai donc pour le dit sujet non pas une paire, mais plutôt deux paires de gants.
D’abord permettez-moi d’avouer ma culpabilité. Oui, je suis moi-même coupable de ce que je m’apprête à dénoncer. Remarquez que ce n’est pas un crime grave, non, loin de là, on parle plutôt d’un examen de conscience. Et j’avoue qu’elle est parfois élastique notre conscience, assez du moins pour la regarder droit dans les yeux quand cela nous tente, et l’oublier à l’orée du bois quand cela nous plaît moins. Enfin, vous comprenez ce que je veux dire…
Loin de moi l’idée de faire la morale à quiconque, car après tout qui n’a jamais péché jette la première pierre. Mais laissez-moi quand même faire l’avocat du diable sur un sujet qui me tient à cœur. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que mon journal et moi-même, avons été d’ardents défenseurs de la cause cycliste, particulièrement en vélo de montage depuis les dernières années. Le chemin parcouru depuis lors en matière de développement de nos sentiers dans notre région est plus que remarquable, voire spectaculaire, mais la situation, elle, demeure tout de même fragile. Et c’est particulièrement cette fragilité qui m’interpelle.
En fait, ce questionnement m’est apparu lors d’une sortie en vélo de montagne au Chantecler.
C’était un jeudi soir, vers 18 heures. Le stationnement était au tiers plein. Au loin, un groupe de jeunes cyclistes rassemblés autour de leur entraîneur juste avant leur sortie. Il faisait chaud et humide. Un jeudi soir rien de plus banal quoi! Nous sommes donc partis pour nos deux heures de ride habituelles.
Après notre petite boucle d’échauffement, nous attaquons le véritable parcours. Et ça ne prend pas cinq minutes pour que je lance mes premiers commentaires:
– Hey Tom, comment ça que tu passes dans les trous de bouette?
– Ben…c’est parce que je suis en vélo de montagne, pis que la bouette ça fait partie du fun t’sé!
– Mais, on est pas supposé de passer dedans le trou, mais plutôt à côté, non?
– (…)
Pendant que Thomas mangeait sa minute de culpabilité, moi je débarquais de mon vélo pour contourner le fameux trou de bouette, et je peux vous dire que j’ai débarqué souvent de mon vélo tout au long de notre sortie, un peu trop aux dires de Thomas qui me trouvait un peu trop zélée à son goût.
– Tu ne trouves pas que tu exagères un peu Jo? Moi je pense plutôt que c’est la boue qui t’intimide plus que tes beaux principes, au fond ça fait ton affaire de débarquer!!!
– Très drôle chose, en tout cas, ce n’est pas moi qu’on accusera de détruire les pistes!
Mais. On était loin d’être les seuls ce soir-là à faire le constat que les pluies orageuses de juin ont laissé comme trace dans le bois un terrain boueux, voire très boueux.
C’est donc à partir de ce simple constat que l’examen de conscience a commencé. Faut dire que notre esprit journalistique n’est jamais trop loin, mais bon, c’était trop évident pour balayer la boue sous le tapis sans rien dire.
À chaque groupe de cyclistes qu’on a rencontré la boue revenait sur le tapis.
Je me rappelle de cette première discussion avec le premier groupe que nous avons rencontré:
– Pis, c’est bouetteux, han?
– Ouain…ouain… ouain… Mais dans la «encore encore» (NDR: le nom du sentier) c’est ben, ben sec!
– Ahhhhhh, ok!
Après cette discussion hautement philosophique, nous avons continué notre randonnée.
Alors que nous quittions une section pour rentrer dans une autre et qu’on prenait une gorgée d’eau, un bruit de tsunami est monté de la forêt pour arriver tout droit sur nous. Thomas dans un instinct de survie s’est tassé du sentier juste à temps avant que la vague du premier peloton ne s’écrase sur nous. Et laissez-moi vous dire que la testostérone sur deux-roues arrivait dans le tapis!
Je passe du rouge au blanc…
– My God, ça n’a aucun bon sens Tom!, aux nombre qu’on est, et vu l’état des sentiers, à ce rythme là, on va tout saccager, non?
– On va être bon pour une méga corvée d’entretien. Tu sais qu’il y a des places comme en Angleterre où pluie et vélo riment ensemble. Mais c’est la façon dont les pistes sont conçues et entretenues qui détermine leur durabilité. Prends Burke au Vermont qui est maintenant ouvert toute la saison, pluie ou pas. C’est un domaine cyclable qui est supporté par le commerce local. Et ils se sont donné les moyens d’avoir une équipe d’entretien. Et c’est devenu un moteur économique. C’est simple à dire comme ça, mais ça prend un minimum: du fric, des bras et une volonté, pas juste de la part des Robins des Bois trailbuilder, mais aussi politique pour rendre tout ça officiel et qu’à long terme on préserve tout ça!
– Tu as raison, mais on s’entend que le politique, c’est long à bouger. En plus de ça, ils pensent encore qu’on est seulement 15 hurluberlus underground qui pratiquent ce sport. Et le commerce, ça dort au gaz… Comment veux-tu qu’il y ait une synergie entre le politique et les chambres de commerces, quand ils ne prennent même pas au sérieux cette pratique récréative qui dure quand même huit mois de l’année!
Mais après avoir dit tout ça, ne penses-tu pas qu’on devrait se garder quand même une petite gêne et s’abstenir d’aller rouler après les fortes pluies? Regarde, nous, on se doutait que cela allait être boueux par endroit et on est venu quand même, non?! On n’est pas plus fin que les autres Tom. Notre DÉSIIIIR d’aller rouler est plus fort que «notre SUPER conscience écologique». La solution est où à ton avis?
– L’auto régulation; on n’aura pas le choix Jo.
– Ok! Alors commençons par nous-mêmes à «s’auto régula-machin», ok?
Prêchons par l’exemple Thomas!
Honnêtement je sais qu’on dit tous la même chose, mais le problème c’est qu’on se dit à chaque fois que ce n’est pas grave, et comme on n’a pas encore les moyens de nos ambitions, ça nous donne pas le choix de faire cet examen de conscience et de faire attention à nos gestes. Ça serait vraiment dommage de «s’auto-saboter», tu comprends?
– Ouain…ouain…ouain…
Même si je ne suis pas fière de ma «ride», j’ai quand même eu une petite victoire: celle d’avoir vu Thomas débarquer de son vélo au dernier trou de bouette!