Culturée, moi?
Par Josée Pilotte
La semaine dernière on annonçait que l’industrie du spectacle/divertissement vivait sa plus forte baisse de fréquentation en 10 ans. Cette semaine, on nous annonce que c’est l’industrie du cinéma qui bat de l’aile. Seulement 5% de films seraient vus au grand écran, contre 93% à la maison. Et que dire du monde de l’édition qui vit actuellement des heures sombres. On n’a qu’à penser aux éléments suivants: livres électroniques, prix unique tant demandé par les libraires, ou encore la guerre que se livrent les grands groupes de vente en ligne. Le disque, lui, ne se porte pas mieux. On nous annoncerait qu’il s’est vendu plus de vinyle cette année que de CD, que l’on ne serait pas étonné.
Et je ne parle même plus de l’industrie du journal – quotidiens et hebdomadaires – qui mange une claque depuis les dernières années…
Où s’en va notre culture?
Et je ne parle pas de la culture avec un grand K, élitiste voir ésotérique, où la vue d’une toile d’un blanc monochrome nous laisse pantois. Non, je parle plutôt de la «culture populaire» mais dans son sens le plus noble. Cette culture qui se veut le reflet de notre société, le cœur même de qui nous sommes.
À voir tous ces chiffres, plus désolants les uns
que les autres, c’est à se demander où sont les gens. Chose certaine, ils ne sont pas dans ces lieux de diffusion culturelle que sont les cinémas, théâtres, musées et autres salles de spectacles. On ne peut qu’en conclure que les gens restent enfermés chez eux, devant la télé où devant leur ordinateur. On en est là, que voulez-vous.
On n’a jamais vécu dans une société aussi riche – matériellement parlant j’entends. On vit grassement. Nous sommes de plus en plus intolérants en ce qui a trait à ce qu’on croit être «nos droits». On considère que ce confort nous est dû. Pourtant on est de plus en plus vide, on court de plus en plus après je ne sais quoi.
Les mauvaises nouvelles se succèdent les unes après les autres dans l’industrie de la culture.
Mais vous savez quoi?
On aura beau se câlisser de télécharger, de piller le culturel sans se soucier des conséquences, mais ce n’est pas vrai que ça ne compte pas: ça a de grandes conséquences! Ça tue à petit feu l’essence même de ce qu’on est comme société. C’est peut-être tiré par les cheveux, mais je trouve qu’on est une société qui se dénature, qui se vide de son sens, par son individualisme.
C’est quoi le but de la culture au fond? Et bien c’est de transmettre des valeurs et de nous faire vivre des émotions. Mais c’est aussi un lieu de rassemblement et de partage, une forme de communion. Ne pas en prendre soin, c’est notre mort annoncée.
Parlant d’émotions, je vais vous raconter ce que j’ai vécu. Le week-end dernier, je suis allée voir le film Le voyage de cent pas de Lasse Hallström, un magnifique film. Ce n’est pas un film intellectuel, ce n’est certes pas un film hollywoodien à grand déploiement, mais plutôt un film qui nous fait sentir bien, un «feel good movie», comme nos amis anglais disent. Un pur bonheur de deux heures, un point c’est tout. Et pourquoi ce parallèle avec ma chronique?
Et bien ce film reflète, à mon avis, ce qu’on a perdu: une certaine candeur, celle de prendre le temps de vivre, le plaisir de partager. Le rapport à la nourriture, son rapport sensuel et spirituel. Et pas juste la nourriture à manger, mais à partager… le partage de la table, de la vie quoi!
En fait, je ne sais pas réellement pourquoi cela m’a touché. Ce que je sais c’est que j’ai ressenti une nostalgie. La nostalgie du temps perdu et des choses simples.
Je ne sais pas pour vous, mais à moi, ça me fout le cafard de penser qu’on pourrait perdre tout ça: le rapport sensuel du livre papier, la «vibe» qu’on ressent dans une salle de cinéma, l’âme qui se dégage d’un vieux théâtre. Et la lecture d’un journal papier, qu’on lit en prenant son café le samedi matin. Et bien, ça n’a pas d’égal. Car derrière tout ça, il y a des êtres humains, mieux, des artisans qui ont de quoi à dire, qui nous parlent de nous, qui nous parlent de notre société, de nos valeurs. Et on s’entend-tu qu’on est loin de Facebook?
Un livre, un film, une exposition, une pièce de théâtre, un spectacle – et pourquoi pas même un journal, n’ont de raisons d’être que s’ils rencontrent leur public.
Le fait que l’on soit de moins en moins à la rencontre des créateurs, parce que la consommation d’œuvres culturelles se fait en vase clos, dans le confort de nos salons, ne fait-il pas qu’il fragilise notre culture? Poser la question c’est y répondre.
Alors de grâce, profitons des journées de la culture pour nous débrancher du monde virtuel que nous servent la télé et autres bidules électroniques, pour nous brancher sur le monde réel. Et Dieu sait s’il en a besoin.