Dans ma chambre

Par Josée Pilotte

Je ne sais pas si je suis la seule à avoir entendu, mais le cœur, le mien, s’est arrêté de battre quelques secondes, j’en suis presque certaine. D’ailleurs, j’ai dû demander à mon voisin de table de me donner un peu d’eau, histoire que je reprenne mes esprits.  

«… Commission Charbonneau… Village… Conseiller… Ville… Maire Michel Lagacé,

7 ans… Chambre de commence… CA…

Applaudissons…»

Tous ces mots réunis dans plus ou moins une même et longue phrase, tous ces mots prononcés par une seule et même personne: le président de la Chambre de commerce de Saint-Sauveur. Notre président.

Après m’être raclée la gorge deux-trois fois, avoir pris un deuxième verre d’eau, m’être penchée de nouveau vers mon voisin, je lui ai demandé: J’ai-tu bien entendu que nous devions applaudir le conseil de ville ainsi que la mairie de Saint-Sauveur (et son maire) pour l’excellent travail accompli depuis sept ans et que, compte-tenu du contexte actuel qui sévit au Québec avec la Commission Charbonneau, et bien on devrait se considérer ben chanceux de la façon dont notre village est géré?!

Je comprends que notre président a voulu là, peut-être un peu maladroitement, lever son chapeau au courage qu’il faut pour se lancer en politique et administrer une ville en cette époque qui en est une parfois de chasse aux sorcières. En ce sens, il n’a pas tort. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’assemblée présente a applaudi ce discours.

Je comprends aussi que notre président ne pouvait pas se douter, en prononçant ces mots, qu’il y aurait une «p’tite fatigante» (en l’occurrence, moi!) au fond de la salle, qui se mettrait à réfléchir à la question sous tous ses angles!

La «fatigante» se disait: Non mais… sommes-nous en train d’applaudir l’équipe de Michel Lagacé simplement parce qu’elle a fait son boulot et n’est pas passée sous la loupe de la commission Charbonneau nous-là?! Vraiment?! Pincez-moi quelqu’un siou’plaît, pis ça presse.

«Me passeriez-vous l’eau, s’il-vous-plaît?! J’ai vraiment soif. Non tiens!, appelez plutôt la waitress qu’elle me serve un double-quelque chose, quelque chose de très fort»

Donc, j’avais bien entendu. Même que, un instant, je me suis dit: «Tiens donc, il se présente peut-être aux prochaines élections, le Prés’ de la Chambre…»

Mais. Non. Enfin je ne crois pas.

Je dois dire que comme commerçante de la Vallée de Saint-Sauveur, je me suis posée la question suivante: pourquoi tenir un discours un peu politico-démagogique dans un tournoi de golf de la Chambre de commerce? La Chambre n’est-t-elle pas supposée être  «apolitique» – selon ce que répète depuis des années son directeur Pierre Urquhart –  une Chambre qui doit en principe représenter «l’ensemble» de ses membres?

 Je me suis dit aussi comment peut-on parler au nom de «tous» les commerçants en invoquant les mots «commission Charbonneau» et «bon travail de nos élus» dans un même discours en 2013? Est-ce que c’est seulement moi qui vois le danger de tenir de tels propos? Notre président serait-il devenu devin sans qu’on ne le sache?

Quoiqu’il en soit, je crois que son discours ouvre la voie à une réflexion plus large…

Bon. Qu’on se comprenne bien, je ne dis pas que Saint-Sauveur est mal gérée. Je me demande simplement si la mission de «ma» Chambre a changé en cours de route. Et, si tel est le cas, j’aimerais bien que l’on nous consulte avant qu’une position «politique» soit adoptée, afin que l’on s’assure qu’elle reflète la vision commune des commerçants.

Je me pose aussi cette autre question: si notre président décide de sauter dans l’arène politique, ne serait-ce pas une bonne idée de profiter alors de la plateforme qu’il a pour «porter auprès des élus» les inquiétudes des membres qu’il représente, plutôt que de simplement applaudir au fait que le Conseil municipal poursuit son travail honnêtement? (Ce qui, en soi, n’est pas un exploit: c’est bien ce que fait la très grande majorité des travailleurs, non?! Pourquoi le fait d’accomplir son travail honnêtement quand on est à la Mairie mériterait-il soudainement d’être applaudi?!)

Car, entendons-nous, plusieurs commerçants aimeraient sûrement que, tant qu’à causer publiquement de politique,  leur président transmette leurs inquiétudes au maire: augmentation des taxes faramineuses ces cinq dernières années, dossiers qui traînent en longueur – comme le segment de rue piétonne que réclament certains depuis des années –, etc.

Il faut savoir enfin que le commerce est fragile à Saint-Sauveur; je le sais, je côtoie les commerçants chaque semaine, dans leurs boutiques et leurs établissements, comme dans le cadre de mon travail. Les événements mis sur pied par la Chambre de commerce sont populaires c’est certain. Mais contribuent-ils réellement à un tourisme de qualité, qui est seul garant de la pérennité des activités commerçantes d’un milieu? La Fête cubaine, c’est bien beau… mais en quoi affermit-elle l’identité sauveroise?! Croyez-vous que les Montréalais qui s’y déplacent reviennent vraiment consommer la semaine suivante, en se disant: «On a bien aimé l’ambiance cubaine de Saint-Sau, retournons-y cette semaine encore?» Honnêtement, je ne le crois pas. Ils reviendront et y séjourneront si nous avons une identité forte. Un spirit. Une âme quoi! (Chose qu’on a peut-être perdu en route au fil des années…)

Vous voyez: la phrase anodine de notre président, qui est passée sous le radar jusqu’à ce que la critiqueuse-du-fond-de-la-salle que je suis ne la relève, a clairement le mérite de susciter une réflexion. Et si l’on en profitait pour se requestionner sur notre Commerce? Il est peut-être temps: les commerçants ne font plus les chiffres de ventes attendus, notre Vallée n’attire plus les consommateurs que nous désirons, je le vois, je l’entends, je le sais. S’il n’y a plus que les Starbuck’s de ce monde qui auront les moyens de s’installer à Saint-Sauveur, peut-être y’a-t-il plus pressant à faire que d’applaudir le courage de nos élus… Mais il nous faudra sans doute, à nous commerçants, bien du courage aussi pour proposer des solutions concrètes, sauter nous aussi dans l’arène et ne pas simplement nous lamenter sur notre sort.

En ce sens, oui, la direction plus politique que semble vouloir donner à «ma» Chambre notre président est une voie intéressante à suivre, puisque ces questions sont aussi politiques.

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