De l’art ou du cochon
Par Josée Pilotte
Conversation de salon. Comfort Food. Vin rouge. Feu. Discussion qui pétille. Avis qui s’enflamment.
Saint-Donat. Tounes d’automne.
«Réveillez-vous!»
Le témoin de Jéhovah qui veut nous montrer le Chemin, c’est le cousin. Martin de son prénom.
Début quarantaine, deux beaux enfants, une belle femme, geek assumé, cuisinier hors-pair, snobinard à temps partiel, grande gueule à temps plein – surtout dans les conversations de salon!
D’ailleurs celle-ci est explosive et survient juste après l’échec culinaire de l’année: le cochon qui avait cuit dans la terre toute la journée, ficelé de feuilles de bananiers, et déposé sur un nid de braises, se trouva fort dépourvu lorsque le souper fut venu… Car une fois extrait de la terre, il était aussi rose qu’à son premier jour. Bref: pas cuit pantoute!
Notre cuistot passionné avait la mine basse. Si le cochon n’était pas cuit, l’échec, lui, était cuisant.
«Réveillez-vous avec votre Céliiiiiine, ce n’est pas de l’art ça.»
Nous étions quelques-uns à raconter nos expériences dans la ville du péché, et à dire notre stupéfaction devant la performance magistrale de notre Céline nationale.
Erreur… le voilà lancé: « J’hallucine, êtes-vous en train de dire que vous avez la gueule à terre pour Céline, la Céline à laquelle je pense?! Mon amie m’a quitté?!!»
Il ne peut pas comprendre qu’avec tout le génie des artistes émergents qui fourmillent, l’on puisse perdre son temps à aller voir Céline à Vegas et, pire, à en faire l’apologie. Avec le cousin, faut pas confondre la culture et l’aculture.
Non mais!, on peux-tu reconnaître le talent d’une bête de scène sans être obligé de se faire sentir cheap?! Reconnaître le talent, la discipline à laquelle Miss Dion a dû se soumettre, l’énorme prestance qui émane d’elle sur scène… C’est-tu péché?!
Pour le cousin, oui.
On a eu beau lui expliquer de long en large, mais aucun argument n’en est venu à bout. Non… je mens: nous avons tout de même réussi une chose, le faire sacrer quand nous nous sommes tous mis à chanter à tue-tête D’amour et d’amitié.
Oui, on a eu beau lui expliquer que reconnaître un talent, aussi mainstreet soit-il, ne fait pas de nous des incultes finis. On a eu beau lui expliquer qu’il faut voir pour comprendre, lire un auteur avant de le détester… On a beau lui rappeler qu’on est tous des Denise Bombardier qui aiment snober la culture populaire… mais que même le Bombardier a fini par abdiquer… Rien n’ébranle sa (mauvaise) foi. Réveille-toi l’cousin, c’est toi qui est out!
Est-ce trop de vin, est-ce l’échec du cochon, est-ce nos voix de Castafiore en folie? Toujours est-il que le grand prête de l’élitisme, le mélomane averti, s’est levé d’un air solennel, déterminé à nous faire entendre raison… Et là, il sort l’argument décisif… branche son iPod sur la console…
«Attendez, j’vais vous montre moi c’est quoi d’la vraie musique…»
D’un geste théâtral, il appuie sur «Play»…
Son argument massue, la voix de Mononc’Serge, emplit la pièce:
«Fuck you – fuck you – fuck you, Maman Dion»
Nous autres aussi on t’aime, le cousin!