Hello?!
Par Josée Pilotte
J’ai répondu une fois sans le faire exprès. Ensuite, je le faisais en cachette, c’était presque devenu une habitude.
Dieu qu’on se marrait en écoutant Thérèse déblatérer sur sa journée à Pierrette.
J’ai passé plusieurs étés chez mes grands-parents au bord du lac Saint-François. La maison de mes aïeux était dans une espèce de **no man’s land** perdu au fin fond d’un champs, à cheval entre Rivière Bodette et Bainville Ontario. «Bainville Ontario»!, quel nom ennuyant pour une jeune adolescente.
Pourtant j’aime bien cette maison aux odeurs réconfortantes. Je passais mes grandes journées au lac à pêcher, à me baigner, à regarder les papillons voler… Parfois je me risquais avec ma cousine Isabelle à marcher quelques kilomètres pour faire une razzia de bonbons-à-une-cenne au **Real Truck Stop** sur le bord de la 401.
En entrant chez Real, il y avait toujours cette odeur d’essence, mêlée à celle des vieux routards accoudés au comptoir lunch qui s’empiffraient de hot-dogs graisseux. C’était un drôle d’endroit pour deux jeunes filles de notre âge. Messemble qu’aujourd’hui nos parents ne nous laisseraient plus aller chez Real en culottes courtes. Mais **anyway** là n’est pas le sujet.
Sur le chemin du retour, on papotait de tout et de rien. Surtout de rien. On riait des discussions volées aux voisins, ces mots que nous interceptions sur la ligne téléphonique partagée. C’est que, voyez-vous, chez grand-maman Maria à la campagne, nous partagions avec le voisin la même ligne téléphonique. Chacun son numéro, chacun sa sonnerie… et pour tous − mais surtout pour les petites crasses comme moi − les secrets d’alcôve des voisins.
Aujourd’hui nous sommes bien loin de ce téléphone noir à cadran accroché sur le mur de la cuisine. Nous vivons dans une époque où il y a plus d’abonnés au téléphone cellulaire qu’au téléphone traditionnel… D’ailleurs on ne peut plus parler de «téléphone» mais d’un réel compagnon de vie… et «intelligent» de surcroît nous dit-on… On s’accroche à ce bidule comme si notre vie en dépendait, c’est devenu notre aide-mémoire, notre disque dur en quelque sorte. Quand je nous vois déambulant dans les rues les baguettes en l’air, titubant dans les allées d’épicerie, vociférant à tue-tête… quand je nous vois, je me demande vraiment ce qu’on a tant à se dire. Mais. Pourtant on parle, on parle…
Parlant de parler. Avez-vous vu la nouvelle tour de relais-cellulaire qui a poussé comme par magie dans la nuit sur la 117 à Piedmont? Elle est bien belle, bien blanche, bien chromée. Un vrai p’tit bijou! Elle est bien belle… mais on en veux-tu une dans notre cour? Sachant notamment qu’il y a de plus en plus d’études qui font état de problèmes de santé parmi la population vivant à proximité d’antennes-cellulaires.
Pourtant l’administration de Piedmont ne semble pas trop s’en préoccuper; beaucoup plus préoccupée en fait, par l’emplacement, la hauteur, bref, par la couleur et l’esthétisme que par la santé publique.
Je veux bien croire que nous vivons dans une époque où l’«Image» prime sur tout, mais il ne faut quand même pas exagérer: ce qu’on veut c’est vivre beau, mais par-dessus tout, c’est de vivre en santé!
On nous répond que rien n’est vraiment prouvé, que des études sont en cours… et contradictoires. Mais tout ça me rappelle étrangement les mêmes discours que tenait le lobby de la cigarette d’il y a 30 ans. On nous a dit pendant des années que la cigarette n’était pas liée au cancer, que les études étaient en cours… Aujourd’hui nul ne s’interroge plus sur les méfaits de la cigarette sur notre santé.
Avant le seul risque que nous prenions en décrochant le téléphone, c’était d’apprendre que Pierrette a un amant.
Maintenant c’est de développer un cancer du cerveau.