La vie devant soi

Par Josée Pilotte

Je me rappelle encore de la sensation de l’herbe fraîche sous mon corps, étendue là, regardant le ciel pour y déceler au passage une étoile filante.

J’avais à peine 12 ans. Je rêvais de ma vie. Je rêvais beau. Je me souviens qu’à cette époque je voulais être hôtesse de l’air. Déjà je rêvais de voyages et de pays lointains. J’ai vite changé pour vétérinaire, j’avais une affection particulière envers les chats.

Cela n’a duré qu’un temps. Le temps que mon chat Toby se fasse scalper comme un pauvre con en passant dans les courroies du moteur de la Buick 78 de mon voisin.

J’ai crié ma vie en le voyant sortir de là à moitié déplumé, saignant de partout. Me souviens surtout de la face de ma mère découragée de me voir faire des steppettes, (un genre de danse de Saint-Guy version Pilotte), hurlant de venir l’aider. Ma carrière de vet s’est arrêtée drette-là! Après je ne rêvais plus à mes futures carrières, c’était trop compliqué pour moi finalement.

Je pensais surtout que le temps prenait son temps. La vie est injuste à cet âge comme vous le savez bien.

J’avais 12 ans et je voulais porter du rimmel pour faire ressortir le vert de mes yeux, criais-je (je criais beaucoup à cette époque) à ma mère pour la convaincre de me laisser me maquiller.

Mais surtout je rêvais de porter des talons hauts, d’être une femme, d’avoir des seins et des hanches comme toutes celles que je voyais dans le magazine Fille d’Aujourd’hui.

Bref: je voulais être libre et indépendante et je trouvais que le chemin pour y parvenir était bien trop long.

Mais rassurez-vous, j’ai eu une adolescence tout ce qu’il y a de plus calme (même trop calme), tout se passait entre mon journal intime et moi.

Le temps prend son temps quand tu as 12 ans, mais il est aussi ton meilleur ami – sauf que tu le sais pas. Celui des: «Tout est permis»; des: «Tu as la vie devant toi»; des: «Tu as le droit de changer d’idée». Des, des, des…

Et puis un beau matin, tu te réveilles avec une boule d’angoisse dans le ventre et tu ne sais pas pourquoi. Tu ne te comprends plus, tu te regardes dans le miroir et paf!, tu la revois cette salope, qui te sourit bêtement. «L’urgence de vivre» qui t’habitait à tes 12 ans, revient te hanter des décennies plus tard. Tic-tac, tic-tac… tu as une horloge dans le derrière en permanence.

La semaine dernière, j’ai eu une rencontre d’amies du primaire dans un resto du Centropolis à Laval. Notre patelin de jeunesse. Ça nous rajeunit pas comme dirait l’autre.

Pourtant c’est comme si le temps n’avait pas eu d’emprise sur notre amitié.

Quelques rides en plus mais toujours les mêmes filles.

On a repris la discussion comme si de rien n’était. Faut dire que le phénomène Facebook aide à se tenir à jour.

Isabelle et sa patience incarnée. L’organisatrice de nos rencontres, elle a toujours été le lien qui nous unit toutes.

Liane, la terre à terre, qui depuis notre adolescence nous explique les subtilités de la vie de façon très éloquente.

Sylvie, notre Sylvie nationale aux mille et une histoires. Johanne, la rationnelle au cœur tendre.

Et Natacha, mon alter égo et amie de toujours…

C’est fou de réaliser que nous arrivons à tout près de 40 ans d’amitié. Ça me fait peur quand je le vois écris comme ça. Quarante ans, vous imaginez un peu ce que ça représente?

Ces rencontres aux cinq ans ou aux 10 ans, sont un pont entre le passé et l’avenir. Suis-je trop nostalgique? En tout cas, je vois ça comme une mise à niveau, une mise à jour de nos vies. Et je dois reconnaître que la vie a été bonne pour nous toutes. Même si nous sommes toutes différentes, nous ne sommes pas loin de notre essence de jeunesse. Et je suis fière de constater que nous avons réalisé certains des rêves qu’on portait.

Finalement quand je nous regarde, près de quatre décennies plus tard, je nous trouve belles. Quand nous étions jeunes, nos sujets de discussions tournaient souvent autour des gars. Aujourd’hui nous parlons des hommes de nos vies, de nos enfants, et des rêves qu’il nous reste à accomplir, de la vie devant soi quoi!

Hey les filles!, trouvez-vous que la vie c’est comme la toune de Queen, Bohemian Rapsody?

Ça commence comme un slow. Tu es collé dans le cou de ton soupirant. Tu ne te peux plus. Tu donnerais ta vie pour qu’il t’embrasse tendrement sans te faire un nettoyage des amygdales. Et tu voudrais que le temps s’arrête à tout jamais.

Mais au fond de toi, tu sais que la musique va s’accélérer et que la passe de guitare électrique s’en vient, que ton «lover» va se décoller sans te frencher pour faire son show de «air guitar» comme un con au milieu de la pièce.

Et toi tu te diras au milieu de ce rythme effréné:

«Pas déjà?»

Près de quarante ans plus tard et quelques rides en plus, je nous souhaite pour le temps qu’il nous reste, de faire notre show de guitare comme des folles qui ont la vie devant elles!

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