Les yeux du cœur

Par Josée Pilotte

Il s’appelle Roger, enfin je crois. Ça pourrait être aussi bien Mathieu, de toute façon cela n’a pas beaucoup d’importance.

Roger, Mathieu, Anne et Marie; Marie et ce regard qui en dit long sur la vie.

Roger, Mathieu, Anne, Marie, tous présents à attendre au comptoir alimentaire qu’enfin leur tour arrive. Parfois, pour certains, c’est le tour de la honte, parfois celui du désespoir, de la malchance, le tour de la maladie, de la vieillesse. Des gens qui ont souvent tout donné, puis tout perdu du jour au lendemain.

Des Roger travailleurs saisonniers, des Marie «bad luckées», des Mathieu «poqués» par la vie, des Anne seules et affaiblies par la maladie. Des vieux qui sont juste vieux. Des femmes, des hommes, des jeunes, des moins jeunes, bref: des êtres humains comme vous et moi.

Cet après-midi-là, en sortant du comptoir alimentaire de Sainte-Marguerite, on s’est regardés, Thomas (mon rédac’chef) et moi, sans rien dire. Un regard qui en disait long sur la vie. Je ne sais plus qui de lui ou de moi aura brisé le silence, mais après avoir essayé de mettre des mots sur les maux de l’humanité, nous étions d’accord pour nous dire que la seule chose qui nous séparait de ces gens était la chance. La chance, oui.

Celle d’être né du bon coté, celle d’avoir été «chanceux» quand il était temps de jouer certains de nos choix à pile ou face, celle d’être en santé, celle que la vie nous aura tout simplement donnée bien gratuitement.

Et même si l’on vit dans une tour d’ivoire, dans un beau village riche, Roger, Mathieu, Anne, Marie sont des gens pauvres.

Parce qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont, appeler un chat, un chat. La critique de leur situation vacille entre la chance et la malchance, entre manger à leur faim ou passer leur tour.

On a beau être souvent tellement choqués par la pauvreté dans le monde que l’on visite en première classe, qu’on en oublie malheureusement trop souvent que l’on passe chaque jour devant cette pauvreté, qui est sous nos yeux mais que l’on ne voit pas. Nos vies effrénées, nos peurs, nos préjugés nous empêchent de voir avec les yeux du cœur que la pauvreté existe bien au-delà des apparences de notre communauté.

Alors une fois par année, à Noël, on essaye tous de se convaincre que «notre don» suffit à adoucir notre petite conscience sociale.

Je ne nous juge pas. Ça serait trop facile de le faire et de déraper. Mais pour ma part, j’ai pogné comme on dit, un coup d’humanité cette semaine en parcourant le chemin de la pauvreté dans notre région.

Accès, votre journal, aura mis à contribution sa Rédaction pour nous rendre tous témoins d’une réalité qu’on ne voit pas toujours, mais qui est bien là.

Nous avons voulu le faire sans jamais verser dans le jugement ni la condescendance, mais plutôt pour contribuer en toute humanité à ce que nous ouvrions tous les yeux du cœur.

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