Livre de «poches»
Par Josée Pilotte
Il fallait qu’il se tape les 20 000 pages de 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne.
« Pis, Antoine, as-tu commencé ton livre?
– Ouain, ouain..
– Comment penses-tu arriver à lire tout ça en deux semaines?
– Ben qu’est-ce que tu penses que je fais là, môman?»
Je me retourne, je le regarde incrédule, assis à côté de moi, ses éternels écouteurs sur les oreilles, rien dans les mains. J’ai pris quelques minutes à comprendre le stratagème de mon stratège de fils: monsieur se fait faire la lecture.
Trouvée sur le web, la version audio reste plus attrayante pour cette génération sans papier que les cent papiers qui traînent dans notre bibliothèque. Avoir su je lui aurais payé une Lectrice comme dans le film du même nom avec Miou-Miou, ça lui aurait peut-être donné le goût de regarder sous la couverture.
Bravo pour les compétences transversales mon fils. Mais un gros zéro pour l’effort.
Pourtant ce n’est par manque de contact avec les livres puisque ceux-ci font partie intégrante de nos vies et de notre maison depuis toujours qu’il emprunte le chemin le plus facile pour éviter de tourner une page… Ce n’est pas faute non plus d’avoir insisté sur l’importance de la langue française, du mot juste, de l’univers qui s’ouvre avec un livre.
Évidemment la lecture suppose un abandon. Et l’abandon c’est le début du plaisir… comme celui que j’avais, jeune punkette de 15 ans, qui dévorait à la fois L’Amant de Marguerite Duras et 37,2 le matin de Philippe Djian. Oui je me rappelle de ces échanges de bouquins entre deux joints dans la cours de récré du secondaire. On philosophait sur le sens de la vie. On se trouvait «dark/artiste», pis on aimait ça!
Je me souviens d’un ami en particulier (Rémi Garon pour ne pas le nommer), qui fut pour moi un réel «pusher» de culture, au sens large du mot. Avec lui j’ai fait des découvertes incroyables dans les mondes littéraire, musical, etc… Avec lui j’ai appris à aimer lire autre chose que l’endos de la boîte de céréales.
La récente étude rendue publique cette semaine comparant les compétences scolaires (lecture, math’ et sciences) des jeunes de 15 ans des pays membres de l’OCDE, place en bonne position nos ados québécois.
Est-ce que je m’en réjouis? Oui!
Mais est-ce ça me rassure? Je n’en suis pas certaine.
Tout nous renvoie l’image d’une génération désintéressée des lettres, une génération qui a perdu la fierté d’écrire quelques lignes joliment tournées; au contraire, qui semble parfois se glorifier de massacrer les règles élémentaires de notre langue.. On assassine Bescherelle et Grévisse et on crie victoire!
Remarquez que faire lire Jules Verne en 2010 n’a rien pour séduire cette génération déjà trop sollicitée par la technologie, ses sons, ses lumières, sa vitesse. Jules Verne n’était pas plus à la mode à mon époque qu’à celle-ci, mais le livre faisait alors partie de nos vies. Maintenant le iPod a remplacé le livre de poche. Et quand on lit Duras, c’est plus souvent sur son iPad… mais avec l’abandon du livre, l’on perd aussi le Sens, l’essence. Les sens: les caractères qui dansent sur la texture du papier, le bruit des pages que l’on tourne, l’odeur de l’encre…
On peut certainement se vanter d’être à un clic sur internet de toute la littérature classique mais encore faut-il avoir la curiosité et la culture pour googler «Émile Zola» sans fautes.
Et puis il faut choisir de prendre le temps… parce que l’acte de lire est, par définition, un acte de lenteur…. et la lenteur n’est pas à la mode dans cette ère du 4G.
On achète notre sapin de Noël tout prêt, enguirlandé et pré-éclairé… même l’étoile est intégrée dans la patente… On veut dowloader un film de deux heures en cinq minutes et quart… On veut maigrir sans bouger… On veut 270 chevaux sous le capot… Hey!, la vitesse tue. Elle tue le rêve, les regards, le désir, les soupirs. Et des fois, nos jeunes derrière un volant.