Mais qu’est-ce que

Par Josée Pilotte

Jamais je n’aurais cru qu’en écrivant ma Lettre à Pierre Karl Péladeau l’automne dernier, je créerais un tel raz-de-marée. Ce cri du cœur, repris sur toutes les tribunes (de Radio-Canada jusqu’à Rue Frontenac, en passant par La Presse et le Métropole) dénonçait certaines pratiques commerciales de Quebecor dans le cadre d’une guerre de territoire et de distribution menée contre Transcontinental (ou bien le contraire, on s’en fout!). Le premier dommage collatéral de cette guerre que je dénonçais? Un monopole de plus en plus puissant de l’Information, l’Information qui se retrouve de plus en plus concentrée entre quelques mains et quelques plumes… Et, à l’arrivée: la mort possible des hebdos régionaux indépendants.

Comment peut-on, en tant que Citoyen digne de ce nom, de ne pas s’inquiéter de la disparition de la diversité dans le traitement des nouvelles, comme de celles des opinions?… Comment peut-on, comme Citoyen digne de ce nom, ne pas s’inquiéter de ne plus avoir le choix de plusieurs sources d’information?…

Imaginez donc vers quoi nous conduit la «guerre» actuelle que mènent les grands groupes de presse: Une seule chapelle, un seul «preacher», une seule vision… Bref: une pensée unique. C’est drette vers ça qu’on se dirige si nous ne réagissons pas dès maintenant. Donc, j’ai réagi à ma façon. Et il semble que j’ai touché un point sensible, puisque les parlementaires s’intéressent à la question; puisque les lettres d’appuis affluent de partout au Québec – et nous proviennent de toutes les classes sociales; puisque j’ai été invitée à rencontrer personnellement Pierre Karl Péladeau, de Quebecor, et François Olivier, de Transcontinental… et puisqu’ils m’ont tous deux confirmé que la disparition de la presse hebdomadaire indépendante serait une grande perte pour le Québec et sa démocratie!

Mais qu’est-ce que vous ne comprendrez pas là-dedans?! Ne voyiez-vous pas que, en tant que collectivité, l’on a tout à perdre dans cette guerre? Ne voyez-vous pas que ce débat, que j’ai initié sans m’en apercevoir, n’est pas celui simplement du «journal Accès contre le journal La Vallée»… mais est bien plutôt un débat de société? «Je pense donc je lis», comme dit l’autre, paraphrasant un philosophe bien connu: plus l’on s’abreuve à de multiples sources d’information, mieux l’on pense; plus l’on s’expose à une diversité d’opinions, meilleur être humain l’on devient.

Quand j’entends encore aujourd’hui que certains organismes communautaires des Laurentides (et peut-être d’ailleurs au Québec) se font imposer des «ententes d’exclusivité» par certains journaux quant à leur visibilité, qu’ils se font imposer des ententes qui les empêchent de faire rayonner leurs causes dans d’autres journaux, et bien j’ai le feu au cul… Non mais, bordel!, on est dans une ère d’entraide et de solidarité, non?! Comment peut-on, comme média d’information régionale, emprisonner des causes nobles et se faire du capital sur le dos des plus faibles, simplement pour empêcher les médias concurrents de diffuser l’information et, ce faisant, de priver les organismes humanitaires d’une visibilité supplémentaire dont ils auraient pourtant grand besoin?

Vous voyez bien: quand on va au bout de cette logique guerrière… ben, ça donne quoi? Ça donne ça…

Quand j’entends que le directeur général du journal La Vallée s’en va souligner devant les élus de la MRC tout ce que son journal apporte à la communauté et combien les lettres d’appui à la défense de la presse indépendante lui font du mal… alors que, nous les journaux indépendants, nous disparaissons un à un, victimes d’une guerre de prix illogique… Et ben… je me dis: «Hey, Chose!, viens donc pas me faire brailler!»

Mais qu’est-ce que vous ne comprendrez pas là-dedans?!

La «guerre de prix» a un prix. Celui de la liberté.

Est-ce que c’est tentant, comme commerçant, comme organisme, comme municipalité, d’acheter uniquement un prix, comme nous l’offrent certains journaux? Sans doute. Mais je le répète: ce prix a un prix. Et, comme l’écrivait le préfet Charles Garnier dans une «lettre ouverte» courageuse et clairvoyante adressée à l’ensemble des élus municipaux du Québec: «Quel sera le prix à payer le jour où dans chacune de nos

régions un seul média sera disponible?»… Et bien oui, je me la pose, cette même question, et je vous la pose aussi…

Mais qu’est-ce que vous ne comprendrez pas là-dedans?!

Une société libre et démocratique a besoin, pour le rester et pour s’épanouir, d’une presse diversifiée, loin des convergences et des monopoles. Si vous ne comprenez pas ça, ben oui!, on peut tous aller faire notre épicerie chez Walmart et acheter juste parce que «ça coûte moins cher». Pis fuck l’entrepreneuriat local. Un seul gros commerce dans chaque région, une seule grosse église. Un seul pape. Pis partout la même Bonne Nouvelle. C’est ça que vous voulez? C’est ça que vous souhaitez encourager??

Alors pour tous ceux qui pensaient encore qu’il ne s’agissait-là que d’un «petit débat entre deux journaux des Laurentides», parce qu’ils ne lisaient pas les pleines pages publiées ces derniers jours par les propriétaires de journaux «nationaux», les éditorialistes et les chroniqueurs… des pleines pages publiées sur ce sujet dans La Presse, dans le Journal de Montréal**, dans Le Devoir…

… Pour tous ceux-là qui ne comprenaient pas encore: Comprenez-vous, maintenant?

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