Maman, je pars
Par Josée Pilotte
Je ne sais pas si c’est juste moi, mais on dirait qu’à partir d’un certain âge, le temps s’accélère à une vitesse folle.
Personnellement, ça me donne la nausée. Ça donne un coup, un coup de vieux aussi.
Parfois, je vous le jure, je rêve de pouvoir mettre le film de ma vie sur pause juste pour me donner la chance de mieux absorber les événements. Mieux accepter que le temps qui passe ne reviendra jamais.
Dure est la réalité d’une mère qui voit ses deux garçons devenir des hommes. J’ai l’impression qu’ils ont lâché ma main subitement pour mieux prendre leur place dans le monde. Encore cet été, mes enfants étaient autour de moi.
Sans crier gare, un beau matin, tu te réveilles et paf!, ils sont grands, la barbe au menton, prêts à quitter le nid. C’est le début de la fin, le début de leur indépendance, le début d’un futur où tout est possible pour eux.
Et toi, en mère désemparée, tu restes plantée là, les yeux remplis de larmes en te demandant ce qui se passe, en te disant que tout va beaucoup trop vite.
Un beau jour de septembre, ton bébé de 21 ans prend son envol, et toi tu ressens le syndrome du nid vide. Personne ne t’avait mise en garde contre ce mal étrange. Tu dois maintenant apprendre à aimer à distance, mais tu ne sais pas du tout comment faire. Et ça, ben ça te tue par en dedans. Ça mitraille ton cœur de mère.
C’est donc le cœur gros que j’ai vu mon plus grand prendre la route de l’indépendance vers Montréal pour ses études et réaliser du même coup que mon plus jeune rentrait lui en secondaire 4. Ouf, méchante claque!
On a bien essayé de banaliser l’affaire avec des : « Ben voyons donc Josée, ne le vois pas comme ça, c’est la vie t’sé! Tu devrais être plutôt fière des hommes qu’ils deviennent, bla-bla-bla… »
Ben oui Chose, j’peux, j’peux, j’peux faire ben des affaires.
Mais le problème, c’est que je ne peux juste pas, pas maintenant, pas si vite. J’ai le cœur en mille miettes. Et je ne sais pas encore comment recoller les morceaux.
Me semble que c’était hier que je sortais de l’hôpital, les seins tellement pleins que le lait te sort par le nez, le derrière en feu pour avoir anormalement poussé, sans oublier les fissures à tout jamais gravées sur mon ventre. Oui, il me semble que c’était hier tout ça, que je le regardais, lui, ma progéniture, mon amour, le cœur explosé de bonheur.
Vous comprendrez donc que Môman n’était pas du tout prête encore à réaliser qu’elle aussi a grandi vite durant toutes ces années. Tellement vite que même les bras lui ont allongé quand elle doit lire le menu au restaurant.
Quand j’ai vu mon grand remplir le coffre d’auto de ses sacs à vidanges pleins de linges, j’ai dit à Chéri, entre deux sanglots :
« Veux-tu bien me dire, Chéri, comment ça se fait qu’on n’a pas fait plus d’enfants? »
Et lui de me répondre…
« C’est ben trop de trouble, c’est ben trop cher, et je ne me serais pas vu te ramasser à chaque fois qu’il y en a un qui part. »
Eh bien moi, de savoir ce que ça fait comme vide aujourd’hui, avoir su, je me serais bâti une tribu, une ribambelle d’enfants, à la place d’une carrière.
« Ça va être correct Chérie, ça va te passer. Puis, il t’en reste un autre à la maison. Arrête donc de capoter! »
« Oh, tu ne comprends rien », lui répondis-je en reprenant de plus belle mes sanglots, en braillant ma vie.
« Moi, de ce que je comprends en tout cas, c’est que notre grand est prêt à se débrouiller seul, sans toi, sans nous. À faire sa vie de grand quoi! Et moi je suis fier de nous, je me dis : Mission accomplie! Au moins un de parti; on n’a pas élevé un Tanguy…»
« C’est ce que je disais, tu ne comprends vraiment rien! »
Et pour les parents poules de ce monde, voici les paroles de la chanson thème du film La famille Bélier que j’ai eu la bonne idée de regarder le soir de son départ, histoire de me remonter le moral. J’ai braillé tout le long…
Mes chers parents je pars
Je vous aime mais je pars
Vous n’aurez plus d’enfants
Ce soir
Alors dites-moi, juste comme ça, on jase-là.
Qu’est-ce qui vient après? Après tout ce bazar je veux dire?
La vieillesse? La mort?
Oh my god, ça recommence, je le sens. Ça y est.
Oui, je braille encore!
Excusez-la!