Marguerite, Marguerite….
Par Josée Pilotte
J’ai une fascination pour les vieux, surtout ceux que je croise le matin en allant travailler. Il n’y a pas un matin en route vers le journal ou je ne suis pas émue par la beauté du spectacle de la vie. Pas un.
Je les trouve beaux, forts, téméraires, un peu fous sur les bords même. Encore ce matin, il y en avait un poussant sa marchette à -15 sur les trottoirs glacés de Saint-Sauveur, faut le faire quand même!
Même si la tragédie de l’Isle-Verte a mis sur la sellette les personnes âgées, il n’en demeure pas moins que notre société ne valorise pas la sagesse des rides et c’est bien malheureux. Tout comme la pauvreté, la vieillesse n’est pas suffisamment «glamour» socialement pour que l’on s’y attarde plus que l’instant d’une tragédie.
Nous évoluons dans une société aux apparences de jeunesse éternelle, comme si demain n’existait pas, comme si on oubliait que demain, nous serons tous à notre tour «des vieux crisses».
J’aime mieux vous dire tout de suite que j’aimerais bien ressembler à ceux que je croise le matin: ils m’inspirent la vie et le respect surtout.
Quand je les vois braver la vie, la leur, beau temps mauvais temps, rhumatismes ou pas, d’une démarche chambranlante, mais d’un pas décidé, c’est du bonheur gratis. Oui, quand la vieillesse se tient debout, ça m’émeut. Et je n’ai pas besoin de voir des images en boucles sur les chaînes continues – cette surenchère médiatique – pour me rappeler que nos aïeux devraient occuper une place plus importante dans notre société qui a tendance à les tasser sur le banc des oubliés.
Avez-vous entendu parlé de la petite Marguerite, 98 ans, qui devra ENCORE déménager ses pénates avant le 31 mars prochain. Non? Je vais vous la raconter moi l’histoire:
Figurez-vous que Marguerite demeure aux résidences Desjardins sur la rue Principale de Saint-Sauveur. Elle s’y est retrouvée suite à une fracture de la hanche. Elle est là parce qu’elle a besoin de soins spécifiques. Ça lui a pris du temps à
Marguerite à s’adapter à sa nouvelle résidence et à sa nouvelle condition.
Marguerite a dû déménager d’abord du troisième au deuxième étage. Ça lui a pris plusieurs mois juste pour s’adapter à ce changement. Je la trouve bien bonne moi Marguerite parce que j’en connais de mon âge qui ont horreur du changement.
Alors imaginez le bouleversement émotionnel, psychologique que ça doit être pour une dame de 98 ans de voir tous ses petits repères chamboulés. L’horreur!
Suite à un non renouvèlement de contrat entre les Résidences Desjardins et le CSSS des Pays-d’en-Haut, Marguerite devra encore une fois déménager, cette fois-ci probablement dans une autre ville, dans une autre résidence, avec du nouveau personnel et tout le kit.
C’est triste qu’on ait a barouetter nos vieux pour une question de budget. Mais comme nous sommes dans une société de performance et de colonnes et de chiffres, Marguerite doit «fitter» dans les grilles d’évaluation, doit balancer dans les colonnes de chiffres.
Je ne sais donc pas ce qu’il va lui arriver à Marguerite, mais ce que je sais, c’est que ce drame se passe dans notre région à Saint-Sauveur, la ville la plus âgée du Québec et j’ai une petite nouvelle pour vous, le Québec ne va pas en se rajeunissant, bien au contraire.
Pensez-vous que comme société qui se dit évoluée et riche, c’est normal d’évacuer nos vieux quand ils ne font plus l’affaire?
Moi, Dieu sait que mes grands-parents ont été plus qu’un modèle dans ma vie, ils ont été mes fondations et comme société, nous devrions avoir un plus grand respect pour le legs qu’ils nous ont transmis.
Pour paraphraser Gandhi, on juge la grandeur d’une nation à sa façon de traiter les plus faibles de la société…
Et il y a des milliers de «Marguerite» au Québec, fragilisées par les rides de la vie. Demain, Marguerite ce sera moi, ce sera vous. Où sont passées nos valeurs de respect, de solidarité envers nos aïeux, ces «Marguerite» qui ont semé notre chemin?