Mutisme
Par Josée Pilotte
C’est rare que ça m’arrive mais j’ai peu de choses à dire. Je suis dans un mutisme, un mutisme contemplatif. C’est rare dans une vie, surtout dans une vie comme la mienne. Vivre en regardant passer les évènements sans trop les commenter ni même leur accorder d’importance, c’est tout un exercice de concentration, j’vous en passe un papier.
Avouez que vous aussi normalement vous êtes comme moi d’habitude… je vous parle régulièrement, je vous entends.
N’essayez pas!, vous aussi les avez toutes pré-mâchées, vos opinions sur tout, comme un mantra qu’on répète peu importe la situation ou l’interlocuteur qui se trouve devant. Oui, oui, avouez que nous sommes tous de vrais Lucky Luke, toujours prêts à dégainer, en n’attendant souvent jamais la fin de l’histoire, impatients comme toujours de tirer au visage de l’ennemi ces petites-phrases-toutes-faites:
«NON! mais attendez… c’est pas sérieux là…»
«HAN?! non ça, pas d’allure pantoute …»
«NON!, vous comprenez pas, c’ta cause que…»
«NON MAIS!!! Helloooooo la Terre?!»
Maintenant imaginez qu’il n’y a aucune de ces phrases faciles, que l’on utilise d’habitude dans une phrase comme une ponctuation spontanée, qui nous vienne à l’esprit.
Non, aucune phrase à dire quand…
… Quand on «dé-crucifie» Jésus de nos institutions publiques…
… Quand on nous passe un sapin en foutant nos sapins de Noël dehors…
… Quand l’Union Européenne s’écroule, que des pays risquent de faire faillite, et qu’en plus quand on nous dit que tout ça risque d’affecter nos régimes de retraite à nous ici…
… Quand on ne convoque plus certains journalistes à des conférences de presse pour des évènements financés en partie par notre fric…
… Quand le journal La Vallée accuse publiquement les autres journaux de faire du sensationnalisme… tout en salissant la vie d’un homme connu et respecté en l’associant publiquement à sa femme fraudeuse…
… Quand on reçoit des lettres anonymes à nos bureaux et qu’elles insinuent qu’il existe des liens entre des élus et des fraudeurs…
… Quand on s’indigne avec les indignés, après que le Québec entier soit devenu gauche-orangé avec le NPD, et qu’on apprend qu’on est maintenant prêts à élire la droite/CAQ/ADQ aux prochaines élections…
… Quand on apprend qu’il existe des cures de désintox pour sevrer nos jeunes des jeux vidéo…
… Quand l’intimidation devient un enjeu de société qui interpelle nos gouvernements parce qu’on a perdu le contrôle comme parents, comme école, comme citoyens, comme société…
Et aussi quand j’apprends que mon petit Lou de 6e année ira voir en projet académique la pièce de théâtre Les dix petits nègres, tirée du célèbre roman d’Agatha Christie… mais que quelqu’un, quelque part a cru bon de rebaptiser la pièce pour faire disparaître le mot «nègre» du titre; bref: quand les accommodements raisonnables ne le sont plus, et sont mis au service de la réécriture de l’Histoire et de la Culture.
À quand le changement de nom du Mont Habitant?… Parce que, entre vous et moi, «habitant» ce n’est plus politically correct de dire ça dans une société comme la nôtre, non?!
Au fond, nous sommes tous des intimidés. Nous le sommes par les étrangers qui ont pourtant choisi notre pays pour vivre, par notre propre Histoire qu’on dénature à grands coups d’accommodements, par les bien-pensants qui veulent nous faire croire que tout ça, au fond, ce n’est pas si pire que ça.
Il ne faudra pas s’étonner qu’une société intimidée soit un jour une société suicidée.